• Je pousse la porte de la hutte de Sveinstindur. Ouf !

    A l'abri du refuge, un couple, Christophe et Nesrine. Ils ne doivent pas être arrivés depuis longtemps, mais le poêle à gaz marche à fond. Il s'avère qu'eux aussi se sont fait déposer sur la route de Faxasund, une journée après moi. Ils ont dormi à proximité de la rivière Tungnaá et ont fait tout le trajet jusqu'ici en suivant la piste 4X4 dans la tempête.

    Ils sont... rincés... Tous leurs vêtements, mal protégés dans leurs sacs à dos, sont trempés. Quant à moi, je ne m'en sors pas trop mal. Seuls les habits que je portais sont mouillés. Tout le reste, rangé dans des sacs poubelles, est bien sec.

    On étend tout ça ; ce n'est pas la place qui manque.

    J4 - attente

    Lendemain matin. La pluie, le vent. Pas bouger.

    On s'occupe comme on peut. Pas de jeu de cartes. Penser à le rajouter au paquetage type ! J'ai mon bouquin ; mes 2 compagnons n'en n'ont pas : ils ont voulu gagner du poids... Ils passent le temps en se chamaillant gentiment.

    Lecture du livre d'or. Ceux qui se félicitent de la merveilleuse vue du sommet du Sveinstindur. Ceux qui sont soulagés d'avoir trouvé refuge sous la pluie. 50-50.

    J4 - attente

    J4 - Attente

    J'emprunte à Christophe sa carte Atlaskort, plus récente et plus précise que la mienne. Je retranscris les pistes et les chemins de rando indiqués ; ça pourra toujours servir. J’échafaude des itinéraires bis. Continuer comme prévu vers le Maelifellsandur ? Bifurquer vers Strutur ? Rester proche des refuges ; éviter les passages à gué des rivières en crue.

    En début d'après-midi, c'est reparti en ouragan. Difficile de dire si c'est pire qu'hier.

    Attendre... Du coup, ma lecture des "Tristes Tropiques" avance plus vite que prévu, au risque de me laisser à sec (ironie !) avant la fin du voyage. J'aborde le chapitre principal, celui décrivant l'organisation du village des Indiens Bororo.

    J4 - Attente

    Au centre, la "Maison des hommes", sorte de salle commune. En cercle tout autour, les maisons familiales. Le point intéressant : le cercle est coupé en deux par une frontière fictive, séparant les familles Céra et les familles Tugaré. Un homme Céra devra impérativement se fiancer avec une Tugaré et traverser la frontière pour installer sa famille en face. Inversement, bien sûr, s'il est Tugaré.

    Évidemment cette pratique favorise le brassage génétique. Cela-dit elle dépasse le cadre du mariage et a d'autres fonctions culturelles. Par exemple, chacun des 2 clans est chargé d'organiser les funérailles d'un membre du clan d'en face.

    Les Céra sont détenteurs du pouvoir politique (le chef est Céra). Les Tugaré sont plus proches de la spiritualité (le sorcier est Tugaré).

    "Au moraliste, la société bororo administre une leçon (...) : ce ballet où deux moitiés de village s'astreignent à vivre et à respirer l'une par l'autre, l'une pour l'autre ; (...) mariant leurs enfants entre eux, enterrant mutuellement leurs morts, se garantissant l'un à l'autre que la vie est éternelle, le monde secourable et la société juste. Pour attester ces vérités et s’entretenir dans leurs convictions, leurs sages ont élaboré une cosmologie grandiose ; ils l'ont inscrite dans le plan de leurs villages."

    Dans le refuge, on a, nous aussi, délimité nos territoires. Le coin table est une zone d'échange, où l'on étale les cartes, où l'on boit thé et café. Dans le coin châlit, le rez de chaussé appartient à Christophe et Nesrine. J'ai investi l'étage.

    J4 - attente

    On surveille le baromètre. Je règle la fonction altimètre de mon GPS aux 580 m d'altitude qu'indique la carte. Ça monte, lentement, régulièrement. 600 m. Pff, ça veut dire que la pression atmosphérique chute encore. C'est pas fini. Et le vent qui continue. 620.

    A 650, j'en ai marre, ça me déprime, je me couche.

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  • Après la pluie, le beau temps. Tel est notre raisonnement, certes simpliste, mais sinon y a plus qu'à se tirer une balle...

    A vrai dire, le ciel est toujours saturé de gris, il pleut toujours (pas beaucoup) ; le vent est toujours présent et toujours de secteur sud ; le baromètre s'est stabilisé - mais ne remonte pas - depuis 2 heures du matin.

    Côté sud, justement, il y a de temps en temps comme une intensification de la luminosité, alors on se dit ça y est c'est parti faut qu'on parte nous aussi.

    J'ai préparé mon sac ; à 9 h 45 je n'y tiens plus, je m'en vais.

    Christophe et Nesrine vont continuer vers Skaelingar. Moi, j'ai changé d'avis :

    - Je reviens à mon projet initial et principal de tour du Langisjór : je ne me contente pas des quelques vues des Fögrufjöll depuis l'arête du Sveinstindur ; je n'aurai pas le temps de descendre sur Thorsmork cette année mais j'aurai bien l'occasion d'y revenir.

    - Sur le plan de la météo, j'imagine la journée d'aujourd'hui comme une journée de transition : il fera beau quand j'approcherai du Vatnajökull, quand je traverserai les Fögrufjöll, il fera beau quand ce sera mon tour de rejoindre Skaelingar et d'admirer le mont Uxatindar.

    Voilà l'idée générale.

    Zou.

    J5 - Langisjor W

    Contournement du Sveinstindur : je ferai le tour du lac dans le sens horaire.

    J5 - Langisjór W

    Et... vla la pluie... L'été ouéti, ouéti l'été... Pas violente, cette pluie, mais constante...

    Tiens, un gus qui se balade à proximité de son 4x4. Top chrono, je ne verrai plus personne avant un bon moment.

    Au sud, c'est plombé, plombé, plombé. Bah, c'est vent arrière, faut faire contre mauvaise fortune bon cœur et avancer. Un coup en suivant le bord du Langisjór à ras de l'eau.

    J5 - Langisjor W

    Un coup en tirant un peu droit dans le sandur.

    J5 - Langisjor W

    Il pleut... encore, toujours. J'avance, j'avance, pilote automatique.

    J5 - Langisjor W

    Bien sympa, le paysage d'en face. Me dis que je rate quelque chose. Et puis me dis que j'y serai demain ou après-demain et que ce sera toujours sympa.

    J5 - Langisjor W

    Côté ouest du Langisjór, c'est beaucoup moins vert qu'en face. Peu de mousses. Explication d'ordre géologique probable, moi je ne sais pas. La morphologie du terrain est également différente : des excavations, comme cette gigantesque antre de troll.

    J5 - Langisjor W

    Des canyons aussi, là où les torrents se sont frayés un chemin. Chacun a droit à sa petite visite et à sa photo. 13h passé, il fait faim mais il pleut toujours. Un canyon un peu plus large que les autres. Je vais m'y abriter, j'installe le réchaud entre 2 rochers et mange mon lyo à l'abri d'un surplomb. (Tajine au poulet, de mémoire.)

    J5 - Langisjor W

    Le troll-coq.

    J5 - Langisjor W

    J5 - Langisjor W

    Il pleut encore. Maintenant c'est fait, à force d'insistance : le pantalon est trempé, les godasses sont trempées. Le haut, ça va. J'ai appliqué à la pluie le principe de l'oignon : coupe-vent/housse de sac + capote.

    J5 - Langisjor W

    Il... (tu devines ?) pleut.

    Les jambes avancent, animées d'une antique habitude, elles ne connaissent rien d'autre, il ne leur vient pas d'autre idée à l'esprit et elles se croisent à chaque enjambée, tiens te voilà, dit la gauche à la droite, réjouie par cette brève compagnie. (Jón Kalman Stefánsson)

    J5 - Langisjor W

    Côté sud, ça s'améliore... Ou pas. Plutôt pas. On distingue à peine le Sveinstindur.

    J5 - Langisjor W

    Encore un canyon. Pis va falloir déchausser pour le traverser.

    J5 - Langisjor W

    Pas envie d'enlever la capote, d'ôter le sac à dos, de récupérer les crocs. Je remonte un peu pour voir.

    J5 - Langisjor W

    Et c'est comme une sorte de miracle. Le canyon est splendide. Plus il se rétrécit, plus c'est beau, et ça reste accessible. Et LA PLUIE S'EST ARRÊTÉE !!

    J5 - Langisjor W

    Alors je crapahute, j'arpente les restes de névés mélangés de sable.

    J5 - Langisjor W

    Je me retrouve dans des vallées désertiques, des ravinements orientés nord-nord-ouest qui m'éloignent peu à peu du lac. Alors je remonte aux sommets, à l'est.

    Le revoilà, mon Langisjór. Tiens donc, je suis juste en face d'Utfall, l'exutoire du lac - plus très loin de l'extrémité nord. J'ai sacrément bien avancé. Je pourrais m'arrêter.

    J5 - Langisjor W

    Mais compliqué de redescendre vers les berges. Les coteaux se défendent à coup de grandes plaques de palagonite. Je préfère continuer vers le nord, et je rejoins une piste de 4x4. Aucune végétation, du sable, pas d'endroits de bivouac. Je continue encore et découvre la vallée qui sépare le Langisjór du Vatnajökull. M'a l'air bien marécageuse.

    Pas de photo, pendant toute cette partie du trajet : brume + sandur.

    Voilà une petite dépression face à la calotte glaciaire, abritée du vent du sud. il ne pleut plus. Je peux monter mon bivouac tranquille.

    Puis ça revient en crachin. Encore une fois, il n'est pas question de manger dehors, ni de faire un petit tour ce soir. Reste donc à se replonger dans Lévi-Strauss.

    Réflexion iconoclaste sur l'écriture. Elle "multiplie prodigieusement l'aptitude des hommes à préserver les connaissances. On la concevrait volontiers comme une mémoire artificielle, dont le développement devrait s'accompagner d'une meilleure conscience du passé, donc d'une plus grande capacité à organiser le présent et l'avenir."

    Pourtant, continue-t-il, les phases de progrès de l'humanité n'y sont nullement liées. "A quelle grande innovation est-elle lié ? Sur le plan de la technique, on ne peut guère citer que l'architecture. (...) Le seul phénomène qui l'ait fidèlement accompagné est la formation des cités et des empires, c’est-à-dire l'intégration dans un système politique d'un nombre considérable d'individus et leur hiérarchisation en castes et classes."

    Et il résume sa pensée : "Il faut admettre que la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l'asservissement." "En accédant au savoir entassé dans les bibliothèques, les peuples se rendent vulnérables au mensonge."

    Dame ! Qu'aurait dit Lévi-Strauss de la civilisation du smartphone !? Dommage, pas de batterie ; j'aurais continué ma soirée à jouer au lapin crétin.

    J5 - Langisjór W

    27 km.

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  • Pas de pluie, pas de vent. Je mets l’œil hors de la tente. Bon, c'est pas le grand bleu... Quand même, le Vatnajökull se montre... Je sors étaler quelques affaires mouillées et me préparer mon petit déjeuner : thé et biscuits. Photo du bivouac, puisque je n'en ai pas pris la veille.

    J6 - Skaftá

    (Clique sur la photo pour bien voir le glacier.) De l'autre côté, le Sveinstindur est maintenant loin.

    J6 - Skaftá

    Descente dans la plaine marécageuse, que je traverse en suivant la piste 4x4. Me voilà donc tout au bout, au nord-est, du Langisjór.

    J6 - Skaftá

    Dommage, n'est-ce pas, que le Vatnajökull ne descende pas se déverser en glacier dans le Langisjór. Ça ferait un sacré spectacle !

    J6 - Skaftá

    Mais non, la calotte glaciaire reste, dans cette zone, bien accrochée en bombement, qui s'élève lentement des 670 m du Langisjór jusqu'aux 1700 m des Grimsvötn. Très peu d'eaux de fonte sont drainées vers le lac : elles partent plus à l'ouest dans la Tungnaá, ou plus à l'est, dans la Skaftá que je rejoindrai tout à l'heure.

    J6 - Skaftá

    Petite montée dans les mousses et je rejoins les montagnes Fögrufjöll par un premier lac. Tous ces lacs n'ont pas de nom, sur la carte. Ça donne envie de jouer les découvreurs, d'attribuer en patronyme un prénom, un mot fort... Celui-ci sera le Vináttavatn.

    J6 - Skaftá

    Jusqu'à rejoindre Utfall, il faut longer le bord du Langisjór. Relativement facile, sauf qu'à un moment, il faut passer par un névé. Baignade gratuite en cas de glissade. Bien taper du pied à chaque pas, bien assurer ses appuis grâce aux bâtons...

    J6 - Skaftá

    Un gros oiseau me devance le long du chemin.

    J6 - Skaftá

    Un lagopède, avançant tranquillement, à mon rythme, sans se donner la peine de monter ou de descendre, sans non plus chercher spécialement à m'attirer en piaillant comme le ferait un pluvier.

    J6 - Skaftá

    En plus, mon lagopède prend des poses... Jamais, avec mon pauvre zoom 110, je n'aurais pensé pouvoir prendre d'aussi beaux clichés.

    J6 - Skaftá

    La star du Langisjór, je te dis.

    Arrivée à Utfall. C'est l'exutoire du lac. Étonnamment peu de débit, quand on pense à la taille du Langisjór, à la superficie proche du lac d'Annecy. Si un morceau du Vatnajökull s'y déversait, ça serait une autre tasse de thé... Pourrait-on même le passer à gué ?

    J6 - Skaftá

    La traversée d'Utfall va quand même être un peu plus coton que prévue, après 3 jours de pluie... Petit bassin versant = bassin très sensible aux précipitations...

    J6 - Skaftá

    Je descends le torrent pour me rapprocher du lac inférieur. Ça s'élargit, moins de courant, donc, mais plus de profondeur : il faut trouver le meilleur compromis.

    J'enlève le sac à dos, y range au sec mes vêtements, y accroche les chaussures. Chaussons néoprènes et crocs. Ça passe bien - de l'eau jusqu'en haut des cuisses, quand même. Moins dur que la Markarfljót en 2009 et 2012, juste ce qu'il faut pour rendre l'exercice sympa, sans stress excessif.

    J6 - Skaftá

    (Suite de l'article)


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