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J2 - Fagralón (suite)
(Accès à la 1ère partie de l'article)
Suivre le bord du Langisjór devient assez ardu : des restes de névés pentus. Aucune trace de pas, sur la neige. Pas grand monde ne passe par là, apparemment. Pourtant, il y a une trace qui s'élève dans la mousse, au flanc de la montagne.
La petite touche de rose réglementaire.
Et me voilà en vue du lac Fagralón. En fait ce lac double n'a pas de nom sur ma carte (où il apparaît en un seul morceau). Et ce nom n'évoque rien sur Google. Pourtant, j'ai vu ce nom sur une pancarte. Le suffixe -lón signifie lac, et je fais le pari que "fagra" est le masculin singulier de "fögru" (Fögrufjöll, les belles montagnes, Fagralón, le beau lac ??). On va donc l'appeler comme ça.
Mon idée : profiter du temps raisonnablement beau pour monter le plus haut possible sur l'arête du mont Sveinstindur, à défaut d'atteindre le sommet. Pas dit que je pourrai mieux contempler le Langisjór dans les jours qui viennent. Je pose donc mon sac et grimpe.
A gauche, donc, le Langisjór, à droite le Fagralón. Tu ne t'en rends pas forcément compte sur la photo, mais ils restent bien séparés par une fine arête montagneuse, que je vais suivre dans un moment.
Plus à droite, à l'est des montagnes Fögrufjöll, la rivière Skaftá, alimentée par le Vatnajökull que se perd au fond dans les nuages.
Plus à droite encore, mais les photos sont médiocres, je ne les mets pas, le Laki (plus précisément, le Lakagigar). Et vers le sud, à défaut de voir la calotte du Mýrdasjökull, je vois l'enfilade des vallons qui me permettront de rejoindre le refuge de Sveinstindur quand le mauvais temps me tombera dessus. Information précieuse. Le mont Uxatindar complètement à droite.
Bon, je redescends.
J'emprunte cette fameuse arête entre les 2 lacs. Elle s'effile, faut vraiment pas avoir froid aux yeux - et profiter de l'absence de vent !
Quelques mètres après la photo précédente, je pose par inattention le pied sur une plaque de palagonite. Ce matériau, sorte de transformation argileuse de la lave basaltique est particulièrement traitre : il est parfois d'aspect assez semblable à la terre, mais est dur et glissant, surtout lorsqu'il est couvert d'une couche de graviers en guise de roulement à billes.
Me vlà qui débaroule vers le Fagralón.
De caillou en caillou. Ti-ta-tan-teu, ti-ta-tan-teu, Gisèle O'Hara yeah ! Ti-ta-tan-teu...
Non, je blague, en fait c'est comme un lent glissando.
Quelques secondes très longues. Le temps s'étire. Ne pas prendre de vitesse, ne pas prendre de vitesse. Je me stabilise les pieds vers le bas, sur le côté gauche, les 2 mains enfoncées dans les graviers en guise de frein. La vitesse baisse. Nouvelle accélération.
NE PAS PRENDRE DE VITESSE ! Enfin je m'arrête dans la pente. Main gauche en sang ; on verra plus tard. Assurer les appuis. Rejoindre en quelques pas précautionneux une zone de terre moins pentue.
Au rapport : une douzaine d'écorchures, du superficiel sauf à 2 endroits. Rinçage à la bouteille d'eau. Pouce gauche tordu, mais pas trop douloureux. Pas d'autres dégâts.
Bon, continuer. Quoiqu’il en soit, ne pas repasser par là. Passer par la berge du Fagralón si nécessaire.
Au fond du Langisjór, le Vatnajökull se dévoile un moment. Cette chaîne de montagne au sein de la calotte glaciaire pourrait bien être le Hamarinn, partie sud du volcan Barðarbunga qui me fait le coup d'entrer en éruption un mois après mon retour :(.
Me voilà proche du bout du Fagralón.
A ce moment précisément, j'hésite à continuer vers le nord. Mon intuition est que je déconne.
Le temps vire au sale ; il n'est pas dit que je trouve un emplacement de bivouac rapidement ; je suis crevé ; mon refuge de secours s'éloigne ; le chemin que je viens d'emprunter n'a rien d'évident et je ne tiens pas à le refaire sous la tempête.
Demi-tour ! Je sais exactement où je vais m'installer pour la nuit : entre les 2 morceaux du Fagralón, à moins de 3 heures de la hutte de Sveinstindur.
Je reprends en sens inverse le chemin de crête pour un moment, puis poussé par la fatigue, je me dis qu'il y a peut-être moyen de longer le bord du lac. En effet, deux piquets de bois me guident exactement vers le seul endroit où il est possible de rejoindre la berge du Fagralón. Celle-ci laisse un passage de parfois juste quelques décimètres, ce qu'il faut pour contourner le lac.
J'arpente un moment l'endroit, alors qu'une petite pluie commence à tomber et que le vent du sud se lève. Je cherche le meilleur emplacement pour m'abriter. Je finis par m'installer directement au bord du plan d'eau, pour bénéficier de l'abri du talus de 1 mètre 50 qui le sépare de l'autre morceau du lac.
Dans le sable de la grève, évidemment, les sardines tiennent très mal. Je transporte des cubes de pierres afin de les lester.
Fatigue. Je m'endors sur le chapitre complexe de "Tristes tropiques" où Lévi-Strauss explique les motifs de peinture faciale en forme de jeu de cartes des Indiens Caduvéo.
Mélange de symétrie et d’asymétrie. Sorte d'expression inconsciente d'une contradiction sociale (j'ai pas tout compris...) : "Phantasme d'une société qui cherche, avec une passion inassouvie, le moyen d'exprimer symboliquement les institutions qu'elle pourrait avoir, si ses intérêts et ses superstitions ne l'en empêchaient. Adorable civilisation, de qui les reines cernent le songe avec leur fard."
T'infliger tout ça est bien gratuit. Certes, cette dualité remplit nos vies : symétrie/asymétrie, répétition/innovation, expérience/prise de risque. Quel rapport avec ce trek ? La meilleure façon de marcher...
Mettre un pas devant l'autre, et de temps en temps un pas de côté - voire, mais j'anticipe, un pas en arrière...
25 km.
Tags : fagralon, langisjor, faxasund, grimsvotn, sveinstindur, vatnajokull, skafta
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