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Par lartisan le 21 Septembre 2019 à 22:00
J'ai les chaussures d'Hermès, aujourd'hui, tu sais, celles avec les petites ailes latérales - en plus des trois bandes bien sûr ; la montée dans les pentes d'éboulis, vers le Mont de la Para, j'ai l'impression de la faire en volant...
J'ai visé le point coté 2756, et j'arrive à l'extrémité sud du plateau de la Réchasse, à proximité d'un laquet non représenté sur la carte IGN. A l'est s'ouvre la vallée de la Rocheure, avec à gauche les Pointes de Pierre Brune, et à droite le Grand Roc Noir.
Un petit canyon entaille la pente. J'ai la flemme d'y descendre, alors je crapahute sur son bord, plus ou moins en escalade, le nez dans la pente et, petit miracle, je tombe sur des stations d'edelweiss.
La dernière fois que j'avais vu des edelweiss sauvages remonte à près de 20 ans, au milieu du Vercors.
Un peu plus haut, je chemine en remontant des couloirs de pierres sans grandes difficultés. Un lièvre des neiges déboule entre mes jambes (pas le temps d'armer l'appareil photo, évidemment).
Cette série de gorgées de bière n'a pas soigné mon euphorie.
La Pointe de la Réchasse se dresse au-dessus de moi.
A ce moment précis je sais que la Pointe de la Réchasse est pour moi, que, malgré les barres rocheuses qui m'interdisent un accès direct, rien ne pourra m'empêcher d'en atteindre le sommet.
Pause déjeuner. Je fais le point des sommets de plus de 3000 que j'ai gravis : 6 dans les Pyrénées (Taillon, Petit Vignemale, Grande Fache, Turon de Néouvielle, Tuca de Forqueta, Mont Perdu), 2 dans le Mercantour (Mont Pelat, Ténibre), 1 en Vanoise (Dôme de la Sache, à ski), 1 en Oisans (Dôme des Ecrins, à ski, seul 4000), 1 dans les Alpes du nord (Buet, à trois reprises).
La Pointe de la Réchasse sera donc le douzième. A chacun son Everest !
Il ne faut pas chercher à attaquer le sommet de face. Il faut d'abord longer son flanc sud presque à l'horizontal. Après que j'ai rejoint le bord des falaises qui dominent le lac du Pelve, une large vire me permet d'avancer, puis une trace prononcée se lance à flanc d'éboulis.
Rendu à l'ouest, à proximité du glacier de la Roche Ferran, la trace qui rejoint l'arête est là aussi bien marquée. Il y a peut-être deux-trois pas un peu coton, mais rien de bien difficile.
Me voilà sur l'arête de la Réchasse. Au sud tout le plateau des glaciers de la Vanoise...
Au nord, le glacier de la Réchasse ; en arrière-plan le Grand Bec.
Je remonte l'arête jusqu'en haut. Sommet de la Pointe de la Réchasse, 3212 m. Panorama. Au nord, la Grande Casse.
A l'ouest, la Pointe de la Sana. Au fond, les Alpes italiennes ; à gauche, le Grand Paradis, puis les crêtes frontalières entre Levanna et Ciamarella.
Au sud-ouest, le Grand Roc Noir puis la vallée du Mont-Cenis, toujours sous les nuages...
Et on finit ce panorama de la Pointe de la Réchasse, un chti selfie plein sud, avec les glaciers de la Vanoise entre le Mont Pelve et la Pointe du Dard, et au fond le Dôme de Chasseforêt.
Descente par le même chemin, jusqu'à revenir sur les hauts du plateau de la Réchasse.
Commence alors un complexe parcours d'orientation, à vue et au GPS, pour traverser les lapiaz du plateau de la Réchasse et se rapprocher du bord de la vallée en échappant aux barres rocheuses.
Beaucoup de zigzags, mais me voilà à flanc de vallée (au fond : le col de la Vanoise).
Je suis maintenant sur le GR55. Les Pointes de Pierre Brune se reflètent dans le lac du Col de la Vanoise, dans un paysage automnal très Rocky Moutains.
La Pointe de la Grande Glière au-dessus du lac Rond...
Une dernière petite montée et voilà le refuge du Col de la Vanoise.
Derrière moi, la Pointe de la Réchasse, d'où je redescends.
Il aurait d'ailleurs été possible de redescendre par ce versant, en cheminant entre le glacier de la Réchasse et le glacier de l'Arcelin. Peut-être quelques pas sur de la glace pentue ; je n'ai pas pris le risque et mes crampons légers sont encore une fois restés dans le sac.
Devant, le versant "classique" de la Grande Casse, avec en son milieu le glacier des Grands Couloirs.
18 km, +1370, -1150 d'après mon GPS.
Dans le refuge du Col de la Vanoise, c'est l'affluence, avec une équipe de rugby féminine qui met une ambiance d'enfer.
Au dîner, je ne sais plus ce qu'on a mangé - ça ne m'a pas marqué ! En entrée, une bonne soupe de légumes avec de grosses tranches de tomme de Savoie et des croutons, c'est tout ce que je me rappelle !
Edit : un plat à base de semoule de couscous.
Pas de génépi dans ce grand refuge très touristique.
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Par lartisan le 22 Septembre 2019 à 22:02
Après l'apothéose d'hier et d'avant-hier soir, je m'attendais à une journée de transition, ce ne sera pas le cas ! Pourtant, ce n'est plus le grand bleu - dégradation prévue par la météo d'avant mon départ, qui m'annonçait carrément une journée de pluie pour aujourd'hui. Au refuge du col de la Vanoise, on m'a plutôt prédit du mauvais temps pour demain.
De toute façon, il faut bien boucler la boucle, alors on charge le sac et on avance, on laisse la Grande Casse derrière soi.
Le lac des Assiettes est complètement à sec en cette fin d'été, je débaroule dans le vallon de l'Arcelin.
Le paysage est assez étrange, façonné par les glaciers - verrous glaciaires...
..., par la gélifraction des schistes et la dissolution des calcaires, extrayant de la masse les étonnantes formes des Rochers du Génépy.
Plus bas, le chemin se fraye une place au bord du ruisseau de l'Arcelin, à sec lui aussi.
Ça doit bien ronfler quand le ruisseau de l'Arcelin se fait torrent !
Par inattention, je rate l'embranchement, doit remonter sur une cinquantaine de mètres avant de m'enfoncer dans le couloir qui descend du cirque du Dard.
Une passerelle d'acier, solidement ancrée et haubanée permet de traverser le ruisseau du Dard. L'air de rien, ce site est connu pour ses avalanches particulièrement spectaculaires, la neige dévalant la pente à plus de 400 km/h... Photo trouvée sur le net :
Autant dire que ça reste bien minéral, comme... raclé !
A ma gauche, la Petite Aiguille de l'Arcelin s'élance avec élégance.
Tout en haut, sous le col du Grand Marchet, se dessinent les silhouettes de deux grands bouquetins mâles. Avec un peu de chance ils seront encore là quand j'y arriverai.
Ça monte raide, mais j'ai toujours mes semelles zélées.
Une sorte de grondement quasi-infrasonique m'alerte. Un groupe de chamois croise à ma gauche, de l'autre côté du cirque du Dard. Je ne mets pas de photos : trop loin, dans l'ombre.
Je me rapproche du col, à la recherche des deux bouquetins aperçus tout à l'heure. Sont-ils restés sur ce versant du col du Grand Marchet ? Eh oui, ils sont trois, en fait, descendus d'une centaine de mètres sous le col. Je traverse le couloir à leur rencontre.
Magnifiques. Deux d'entre eux arborent d'énormes trophées. Ils n'ont absolument pas peur de moi, je peux les approcher de très près.
Quel port altier ! Victor-Emmanuel ressuscité, seigneur des bouquetins, Roi de Vanoise !
Bon, je sens que je commence à les énerver, à jouer le paparazzi (paparazzo ?).
Je reprends la montée et débouche au col du Grand Marchet.
Ahuri, je suis, par la beauté du spot, un genre de Gavarnie (il y a même la cascade !) en forme de trapèze fermé vers l'extérieur. La photo en panorama ne rend pas. C'est comme la place de Sienne, il faut la voir en 3D.
Côté cirque du Dard, c'est aussi beau, avec la Grande Casse en arrière-plan.
C'est la conjonction de ces deux faces qui rend ce spot ultime, je le jure. Climax, épiphanie. Est-ce personnel, une question de moment, de phase ? Monte voir et dis-moi !
Pause... Je reste là un bon quart d'heure, je me lasse pas de tourner sur moi-même. Col du Grand Marchet côté sud...
Col du Grand Marchet côté nord...
Le monde est un coffret de bijoux. Les joyaux demeurent rares, l'homme ayant fait main basse sur le trésor. Parfois, on tient encore un brillant devant soi. Alors la Terre étincelle d'un éclat. Le cœur bat plus vite, l'esprit s'enrichit d'une vision.
J'avoue, c'est encore extrait de La panthère des neiges... Bon, je redescends. Faut bien. Et puis qui sait...? D'autres gemmes m'attendent-ils plus loin ?
Je me rapproche d'abord des cascades qui dégringolent du glacier du Grand Marchet.
Le chemin que j'ai pris semble vouloir rester sur le flanc est du cirque. Quant à moi je veux le contempler d'en bas, alors je lâche le sentier et descends droit dans les pierriers en bord de torrent. Je gagne l'entrée du cirque du Grand Marchet.
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Par lartisan le 22 Septembre 2019 à 23:13
Déjeuner à l'entrée du cirque du Grand Marchet.
Et je repars. Le sentier passe en balcon au-dessus de Pralognan...
... puis remonte vers le Roc du Tambour.
Mais avant de continuer vers le sud, je pars jeter un œil au cirque du petit Marchet.
Ce cirque du Petit Marchet est presqu'aussi beau que son grand frère. Étrangement, il est complétement fermé, comme par un plan de faille.
Je remonte un peu pour tenter de fabriquer un panorama, mais ça ne donne rien, je ne le mets pas. Je sors du cirque, affute un moment au bord des trous de marmottes.
Un dernier coup d’œil au cirque du Petit Marchet et je reprends ma route.
Quatrième cirque de la journée : celui de la Valette.
Encore la chance de tomber sur des stations d'edelweiss.
Et d'observer une nouvelle troupe de chamois qui remontent du lac de la Valette.
Et voilà mon point de chute de ce soir : le refuge de la Valette, constitué de quatre chalets.
D'après mon GPS : 12,4 km, +1450, -1370.
Le refuge est en principe hors période de gardiennage, mais en fait la gardienne est là, avec son conjoint et ses parents. Ils sont en plein travail de rangement et de mise en hivernage. La situation est assez inconfortable ; tout est encore accessible mais plus ou moins fermé ; je sens que je dérange : c'est un moment où ils ne sont pas commerçants, c'est leur chez-eux et je suis un peu un intrus...
Bon, le temps de déposer mes affaires dans le chalet qui sert de dortoir d'hiver et je repars en mode léger. Je veux inspecter le trajet que j'envisage pour demain, l'idée étant de gagner les glaciers par l'ouest, cette fois-ci. Donc je monte vers les ruines d'un vieux refuge. Les nuages s'écartent un moment, juste le temps d'observer les glaces du Dôme des Sonnailles qui débordent des falaises.
Arrêts photos en mode macro.
Mon projet, qui consiste à remonter la ligne bleu (ski hors piste !) de la carte IGN, m'apparaît bien aléatoire, vu d'ici. Je continue encore un peu, jusqu'au col des Thurges, qui offrirait une belle vue sur l'Aiguille de Peclet, si celle-ci n'était pas dans les nuages.
Je redescends. Le lac - pas de nom... le lac du refuge du lac... - est quasi à sec. Une pompe y est installée, elle assure l'alimentation du refuge de la Valette en contrebas.
Le temps devient un peu menaçant, mais donne de beaux contrastes de lumière vers la Grande Casse, qui a resurgi au-dessus des deux cirques des Marchets.
Un dernier gros plan de la Grande Casse, point culminant de cette belle Vanoise.
Et il ne me reste plus qu'à rentrer au refuge de la Valette, préparer ma popote et m'installer pour la nuit.
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