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Jour 6 : Jokulgil - Hrafntinnusker
Un jour de comble-en-fond les rochers crouleront ; les monts plus sourcilleux de peur se dissoudront ; le Ciel se crèvera : les plus basses campagnes boursouflées croîtront en superbes montagnes ; les fleuves tariront, et si dans quelque étang reste encor quelque flot, ce ne sera que sang ; la mer deviendra flamme : et les sèches baleines, horribles, meugleront sur les cuites arènes ; en son midi plus clair le jour s'épaissira, le ciel d'un fer rouillé sa face voilera.
Les étoiles cherront. Le désordre, la nuit, la frayeur, le trépas, la tempête, le bruit, entreront en quartier ; et l'ire vengeresse du juge criminel, qui jà déjà nous presse, ne fera de ce Tout qu'un bûcher flamboyant, comme il n'en fit jadis qu'un marais ondoyant.
La terre d'Islande est jeune et encore vivante. Partout on en a la trace. Ça bouillonne et ça sent le soufre. D'ici quelques temps l'Hekla et peut-être la Katla, les plus actifs volcans du pays, vont se réveiller. Mais j'anticipe !Ce matin, temps gris, mais ça va se lever - comme hier.
D'abord je veux rejoindre les fumerolles de Háuhverir. Je remonte le vallon de Litla-Hamragil, au milieu de blocs d'orgues basaltiques.
Le vallon s'avérant vite impraticable, je continue par les crêtes au sud.
A l'amont du canyon, la Litla-Hamragil est un vallon paisible, qui s'enfonce dans les entrailles du massif vers Storihver, mais ce n'est pas ma direction.
L'atmosphère est devenue oppressante, pas de vent, pas de bruits, sauf le cliquement rythmé de mes bâtons et les pierres qui roulent sous mes pas. Soudain, un énorme corbeau surgit au-dessus de moi. Est-ce l'âme d'un voyageur perdu ? Est-ce Hugin ou Munin, l'un des 2 corbeaux qu'Odin envoie voler autour du monde chaque jour, afin de savoir tout ce qui s'y passe ?
Plus prosaïquement, il s'agit sans doute d'un "Corvus corax" (Grand Corbeau), hrafn en islandais, 2 fois plus gros que nos freux et nos corneilles.
Je m'élève vite et aperçois rapidement les fumées d'Háuhverir devant moi.
Ça fuse à droite et à gauche.
Il y a même une mare d'eau bleue turquoise qui bouillonne.
On peut montrer (plus ou moins) avec des photos, mais il faut aussi décrire le bruit et l’odeur.
Le bruit : un bouillonnement de casserole, un chuintement de cocotte-minute, ou encore un grondement de machine à laver. L’odeur : pas vraiment désagréable ; fondamentalement, comme un concentré d’oeuf dur. Parfois, une odeur de grille-pain.
Je reprends la route à travers les névés (on est à 1000 m, l'altitude de Chamonix, mais par 64 degrés nord) vers le refuge de Hrafntinnusker, étape du célèbre trek du Laugavegur. On voit les 3 inlandsis du Vatnajökull à l'ouest, du Hofsjökull au nord et du Mýrdalsjökull au sud. Le sol est parsemé d'obsidienne (hrafntinna en islandais : le silex-corbeau), cette roche volcanique à l'aspect d'éclats de verre.
Voilà donc ce fameux refuge de Hrafntinnusker. L'antichambre est comme une bulle de chaleur étouffante : le chauffage est à fond ! J'en profite : je laisse chaussures et chaussettes à sècher. En attendant je m'installe sur la terrasse pour discuter (ça fait du bien !) avec le warden et avec un couple de français qui passent 3 semaines en Islande.
Déjeuner : boeuf chasseur aux pâtes (Trek n'Heat). Le couple mange des lyophilisés également et on échange nos points de vue gastronomiques.
En avant vers la ice-cave et les solfatares.
La ice-cave est formée par un point chaud sous la glace. Elle s'est effondrée il y a quelques années. D'après la légende, il y a un touriste allemand dessous…
De nouveau ça fume partout ! Je cours de marmites bouillonnantes à jets de fumée sous pression. C'est le pays de Tolkien, des orques et des balrogs. Enfin je cours... Larti-l'escargot se traîne... Un peu marre de porter ma maison sur mon dos.
Il est temps de reprendre la route vers la Laufafell (-fell = montagne). Depuis la traversée des fumerolles, j'entends comme une présence à côté de moi. Probablement le frottement de mes vêtements. A Landmannalaugar, le warden m'a confirmé que les trolls se rassemblaient le soir pour se baigner à Strútslaug. D'après lui, il est possible qu'ils soient après moi.
Quand je lui ai demandé ce que je risquais, il m'a dit :
- Si c'est un mâle, vous faire dévorer.
- Et si c'est une femelle ?
Je n'ai pas compris sa réponse.Fatigué je suis. Encore une fois, le cheminement hors piste vers Hauhverir et Hrafntinnusker a été mentalement épuisant. Restent 2 étapes à faire en 3 jours voire 3 ½. Je comptais continuer jusqu'au Laufavatn, mais pourquoi pas réduire l'étape ? Arrivé au fond d'un canyon que j'espérais descendre vers la rivière Markarfljót, je vois que ça ne passe pas. Il n'est que 15 h 30, tant pis, je m'arrête ; et puis le temps semble se gâter.
Bivouac caillouteux sur un replat au bord du torrent. Les sardines ne tiennent pas dans le gravier. Je m'ingénie à renforcer la tente avec des pierres en contre-poids dans la pente. Du bricolage, j'espère que le vent ne va pas trop souffler...
Du temps pour bouquiner. L'univers de Garp toujours aussi fascinant. Pas facile de lire dans la tente. Allongé sur le dos, il faut tenir le livre à bout de bras. C'est bon quelques minutes et puis on se retourne. Sur le côté, appuyé sur un coude, c'est assez inconfortable aussi. Dîner : chili con carne avec riz (Mountain House) et fromage blanc aux fraises (Travellunch).
A demain.
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Tags : jokulgil, hrafntinnusker, solfatare, hauhverir
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