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Tour du Perdiguère 2013
Rando itinérante plutôt que trek, mais réalisée en autonomie (sans exclure quelques passages en refuge), en partie hors chemins et sans GPS. Partant du Pont du Prat, sur la commune de Loudenvielle, on rejoint le lac du Portillon par le col des Gourgs Blancs. Puis passage en Espagne par le col de Litérole. Route à l'ouest par Estos, le puerto de Gistain et Biados. Retour en France par le port de la Pez.
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Par lartisan le 21 Septembre 2013 à 18:37
Jour 1 : courte randonnée après 8 heures de route : on va faire court aussi dans le compte-rendu.
La voiture va rester au Pont du Prat, à proximité de la centrale électrique de la SHEM.
Quand j'ai lu le polar de Bernard Minier (Glacé), je me suis dit qu'il avait dû s'en inspirer. Par une ambiance plus hivernale, on pourrait s’imaginer dans l’univers glauque et tordu où il place le début du roman. L’architecture industrielle de la centrale, le téléphérique, tout y est, encore qu’il me semble que l’usine a eu droit à un bon coup de peinture depuis mon passage de 2007. Manque aussi le cadavre (du bouquin, pas de ma rando…).
Celle-ci s’était transformée en Bérésina par le fait d’une chute de neige de dernière minute (voir l’article « Les Gourgs Blancs »), et rétrospectivement je dois dire que j’estime avoir eu beaucoup de chance (ou de bonnes intuitions, ou les 2 – on en reparlera). Cette année, le soleil est garanti pour 5 jours, et mon itinéraire est moins ambitieux : le tour du Perdiguère et du Bachimala.
Tranquille montée, très vite dans l'ombre, vers le refuge de la Soula par les bois puis les gorges de la Clarabide. Je n'ai pas pris de photo des gorges. Le chemin qui les remonte, creusé par endroit dans la paroi, est un ancien sentier muletier qui date de la fin du XIXème, réalisé pour la construction du barrage de Caillauas.
Faut s’habituer au poids du sac à dos (16 kg, plus 4 kgs d’eau) : je suis parti sur l’idée d’une rando autonome, sans exclure quelques passages en refuge si tant est qu’ils soient ouverts fin septembre. Pas très MUL (pour les non connaisseurs : Marcheurs Ultra-Légers, des adeptes du trek avec équipement minimaliste, leur raisonnement étant que le « superflu » apporte plus de peine que de confort).
Je dépasse le refuge de la Soula, qui m’avait accueilli en 2007, à proximité des installations de la SHEM.
J'installe la tente un peu plus haut dans les alpages.
J’ai blindé mon MP3 de concertos de piano, dans l’idée de me fabriquer une sorte de best-of chronologique. Ce soir, Mozart (le 23ème). J’ai du mal avec ce compositeur, je me suis même déjà endormi en concert, mais là ça va. Impasse sur Beethoven (le 5ème sera du best-of, je le connais déjà bien). Brahms, le 2ème. Il y a des bons passages (un duo piano-violoncelle par exemple). L’heure de dormir.
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Par lartisan le 22 Septembre 2013 à 22:07
C’est censé (déjà) être la grande journée du périple, en grande partie hors piste, et qui doit me venger du fiasco de 2007. Du caillou, du caillou, du caillou. Je vous mets quand même une touche de rose ?
Je retrouve très rapidement les magnifiques lacs bleus qui parsèment le chemin des Gourgs Blancs.
D’abord le lac de Caillauas :
De belles myrtilles au bord du lac ; je prends le temps d’en profiter, ça complétera mon régime de lyophilisés et de barres Ovomaltine (ah, j'ai aussi un bien sympathique saucisson fumé, en complément).
Tout au fond de la vallée, bien loin compte-tenu du poids du sac : le col des Gourgs Blancs.
Et voilà le lac des Isclots, avec sa petite île.
A partir de là, il n’y a plus vraiment de sentier, on chemine comme on peut à travers les pierriers. C’est un peu austère, mais pas bien compliqué.
Parmi les blocs de roche, certains me font penser au granite du Mont-Blanc, avec de belles macles d'orthose.
Sur la carte, un glacier est encore indiqué en fond de vallée. En vérité, côté ouest, il n'y a plus que quelques mètres-carrés de névé. Et un bon gros tas de cailloux.
Col des Gourgs Blancs, 2877 m, panorama ouest (avec le Pic du Midi, à droite) :
C’est allé bien lentement mais c’est toujours mieux qu’en 2007 : il est 15h30 au lieu de 18h. Col des Gourgs Blanc, panorama est :
Je repère facilement le cheminement qui m’avait fait galérer dans les congères : la ligne de neige de gauche sur la photo qui précède. Encore des lambeaux de glacier, d'après la carte : le glacier du Seil de la Baque.
On longe le Lac Glacé du Port d'Oô, le plus bleu peut-être.
Laquet englacé qui précède une remontée d’un névé bien dur mais les chaussures accrochent. Petit regard derrière moi vers le col des Gourgs Blancs (à droite le Pic Gourdon, à gauche le Pic des Gourgs Blancs) :
Enfin, voilà le Perdiguère et le lac du Portillon :
Assez dubitatif sur la suite. Le refuge et le barrage sont sur la gauche, pas visibles d'où je suis. Je n'ai qu'un bout de carte au 1/50 000. Le relief y est sommaire et les itinéraires indiqués souvent faux. De toute façon le seul tracé à cet endroit est pour le ski de printemps.
Il me semble que le lac est bordé de barres rocheuses et qu’il me faudra le rejoindre par un moyen détourné, alors que j’avais imaginé de bêtement longer la rive jusqu'au barrage.
Je suis d’abord des cairns, puis avise un randonneur un peu plus haut sur la gauche. D'où vient-il ? Je le hèle, histoire de le consulter. Il me répond en espagnol. D’après ce que je comprends, il pense qu’il me faut le rejoindre. Je me dirige vers lui, pour constater que son chemin descend vers le Lac Glacé du Port d'Oô, à l'ouest du Tusse de Montarqué.
Ce n’est surtout pas ma route ! Je reprends la descente en oblique.
Le Perdiguère :
Plutôt que de longer le Tusse de Montarqué, j'espére aboutir à un point de vue sur les éventuelles barres rocheuses qui m’inquiètent. Et effectivement… elles sont là. Je continue sur la gauche. La journée se fait longue, mais au moins il fait jour.
Vraiment, en 2007, j’ai eu le bon réflexe de suivre, à la lampe frontale, la ligne de cairns qui m’a (plus ou moins) mis sur le bon chemin. Si j’avais eu la mauvaise idée de descendre tout droit sur le lac du Portillon, il est clair que j’aurais été bon pour une nuit sous la lune par moins 10 degrés.
J’aperçois une sorte de saignée dans la roche, utilisée pour l’alimentation en eau du refuge. Elle aboutit en bas d’un ravin qui me semble viable. Si j’arrive à le rejoindre, c’est gagné. (Je le répète, ne faites pas comme moi ; la vraie bonne route consiste à remonter encore plus au nord, mais le poids du sac m’en a dissuadé).
Je joue un peu au dahut et j’atteins le sommet du ravin, que je débaroule avec précaution mais sans grande difficulté. Le refuge est ensuite rapidement atteint.
9 heures de marche, quand même. Le refuge est ouvert, j’en profite. Nuitée et petit déjeuner (j’ai déjà l’impression d’avoir été un peu léger sur mes besoins alimentaires). Et même une petite douche… froide, j’ai quand même des principes, alors quoi.
On est environ une douzaine. Dont un petit groupe avec un accompagnateur qui raconte quelques anecdotes, sa chute sur le chemin du Perdiguère : "10 mètres vertical et 40 mètres en roulé-boulé ; juste quelques côtes cassée".
Petite bibliothèque au refuge. Je tombe sur un recueil de poèmes consacrés au voyage. Un extrait (Blaise Cendrars, "Tu es plus belle que le ciel et la mer") :
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partirPlus loin :
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t'enA l’aise, Blaise. Partir pour aimer, partir pour être aimer ? Partir pour mieux revenir, partir ensemble ?? Je ramasse les copies à la fin de la rando.
Concert du soir : les premiers romantiques. Liszt (le 1er) intègre mon best-of. Chopin. Le 1er, gros bof (quoiqu’il y ait un moment magique dans le mouvement lent). Le 2, je dis oui. Mais je me demande pourquoi Chopin s’est encombré d’un orchestre. Les parties de piano sont magnifiques.
Mes 4 compagnons de chambrée ne ronflent pas. Ouf.
(Jour précédent) (Jour suivant)
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Par lartisan le 23 Septembre 2013 à 19:54
Lever de bonne heure ; le petit déjeuner est servi jusqu’à 7h30. Aujourd’hui, je passe en Espagne par le Col de Lliterola, qui surplombe le Lac du Portillon à l’est. D’abord traverser le barrage.
Encore une bonne petite bavante dans la caillasse. S’agit de s’élever des 2560 m du refuge jusqu’aux 2983 m du col inférieur de Litérole, avec le sac chargé à plein puisque la prochaine nuit sera en pleine nature. Au moins, je reste à l’ombre presque jusqu’en haut.
Découverte du flanc ouest du col.
Il y a quelques mètres à désescalader, sans difficulté, pour rejoindre le névé. Je me régale d’avance de la bonne petite ramasse qui m’attend. Je prends quand même la précaution de rejoindre la neige à l’endroit le moins raide. Je pose le pied sur le névé, et c’est parti…
Ouiiii, ça glisse !
Ça glisse même un peu trop.
Je m’aperçois très vite que je ne sais pas m’arrêter. Au bout de quelques secondes je suis déjà sur les fesses, à tenter de me freiner, en plantant mes bâtons de ski à la manière d'un piolet ou d'une ancre. Au moins la vitesse est stabilisée ; je vise les éboulis les plus proches, la pente et la vitesse faiblissent un peu ; j’amortis mon atterrissage avec les pieds.
Ouf ! les phalanges de ma main droite sont bien esquintées par la glissade. Derrière moi, c’est à peine si j’ai laissé une trace dans la neige.
La suite de l’itinéraire n’a rien d’évident. Il y a un joli petit lac au fond du vallon. La carte indique un itinéraire qui passerait sur la gauche, mais ça reviendrait à pas mal remonter. J’ai l’impression qu’il y a moyen de contourner le lac par la droite pour rejoindre son exutoire. Reste à savoir si celui-ci donne sur des pentes « négociables »… Pas moyen de savoir sans y aller voir.
Dans la descente, je rejoins une ligne de cairns ; j’essaye de ne pas la perdre, elle va forcément me permettre de rester sur un itinéraire viable, à moins de me ramener sur des névés trop raides. Pour l’instant en tout cas, elle me dirige vers la droite du lac, comme je l’avais espéré.
Encore un passage en dahu le long du lac, et me voilà à l’aplomb du verrou glaciaire. Arrêt déjeuner sur des dalles qui surplombent 2 ravins. Celui de gauche, où coule le torrent, paraît inaccessible. Celui de droite est enneigé.
J’aperçois en-dessous de moi 3 randonneurs qui montent dans ma direction. On va bien voir par où ils passent. En fait ils rejoignent le ravin de droite et disparaissent entre le névé et la paroi rocheuse. La fonte du névé a laissé un passage d’environ 1 à 2 mètres de large. Les Espagnols arrivent à mon niveau. Ils m’expliquent que plus bas ça passe sans problème mais que c’est très raide. Mais il n’y aura plus de neige.
(Je leur ai demandé : "Hay niebe ?". ils ont répondu "No !". Après coup je me suis interrogé : avais-je demandé "Y a de la neige ?" ou "Y a des nuages ?".)
Après le névé, la descente continue en effet dans un goulet rocheux, où il faut rester très concentré. Plus bas j’aperçois encore un lac, ça va encore être la question du contournement. Si le chemin continue d’être bien cairné, je ne devrais pas avoir à trop m’en soucier.
Le goulet devient moins raide. Relâchement. Je bascule en avant. Est-ce ma cheville qui a lâché, un caillou qui a roulé ?
Rebond sur l’avant-bras droit.
Atterrissage sur le bras gauche.
Le sac cogne ma nuque, et ma tempe gauche heurte la roche. Les lunettes valsent un peu plus bas.
Je m’extirpe douloureusement de sous le sac. Rien de cassé. Juste de belles éraflures sur les 2 bras et les poignets. La casquette a protégé la tempe. Même les lunettes, que je récupère au fond d’un trou, sont indemnes.
Avertissement sans (trop de) frais : la fatigue est là, le pied n’est plus très assuré. J’attends patiemment que les saignements s’arrêtent. Puis, à défaut de biafine ou de beurre, je couvre mes plaies d’une bonne couche de crème solaire et je reprends la descente.
Les cairns contournent le lac par la gauche et par une sorte de gué aménagé.
Le verrou n’est pas bien raide et me voilà dans la prairie, sur un chemin marqué. La suite est plus bucolique. Joli petit lac. En face de moi, le massif de l’Aneto.
(Je précise... Couleurs non retouchées.)
On m’a dit de mettre du rose sur mes photos. J’obéis. En vla.
C’est seulement maintenant que je prends conscience que mon chemin ne m’a pas conduit là où je m’y attendais. Cette petite vallée n’est pas du tout celle du Rio de Estos. La petite cabane de berger où j’arrive n’est pas la cabana de Turmo. Tant pis, c’est un peu tard pour rectifier le tir…
Je croise quelques militaires espagnols qui baguenaudent en attendant une nuit de bivouac. Je remonte un peu plus à l’est, histoire de m’isoler. J’installe la tente au milieu d’une prairie à marmottes. Elles sont énormes : bientôt l’hibernation.
Le Perdiguère :
Un de mes plus beaux bivouacs. En plus je bénéficie d’un peu de réseau Edge, ce qui me permet quelques échanges par e-mail. Ça rend mon isolement bien supportable.
Ce soir, suite des romantiques. D’abord les concertos de Saint-Saëns. Génie mélodiste. Le 1er mouvement du 2 est superbe. Le 5 est plus homogène ; il y a un passage, la 3ème minute du mouvement lent, où le piano sonne comme des clochettes. Comment il fait ??
Impasse sur Grieg et Tchaïkovski : 2 concertos « tubesques », qui seront de toute façon dans le best-of. Ils nous transportent à tout coup dans les paysages scandinaves pour l’un, sibériens pour l’autre.
Rachmaninov. Le 2 évidemment, avec son incroyable intro. Le Rach 3, par contre, je n’accroche pas.
Time to bed après un dernier mail - que j’enverrai demain matin, pas de réseau au fond de la tente.
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