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« So far away from L.A., so far ago to Frisco. »
En approche du Maelifell. Faut-il passer à gauche (comme la piste) ou à droite ? J’opte pour le plus court – la droite. Une petite rivière à traverser avant d’y arriver.
Le vent tombe complètement. J’en profite pour déjeuner.
Sur la piste pas loin, une 4x4 me croise. Puis une autre, dont un passager me fait un petit signe. Rencontre de type 5, dans la classification de Hynek. J’arrête le chrono : 69 heures de solitude, record pulvérisé !
Tiens, Tom, Bert et William...
A nouveau un gué. Obligé de déchausser.
A certaines périodes, ce désert doit prendre l'allure d'un bord de mer, abandonné par la marée... Et, à d'autres moments, d'un marécage.
Les kilomètres s’accumulent – je ne chante plus.
Le vent repart de plus belle. Et maintenant je navigue au près, j’en prends plein la figure. Pour ne pas trop me faire sabler les yeux, j’avance le long de la piste, courbé, penché ; l’œil droit fermé, l’œil gauche ouvert par intermittence, surveillant les traces des pneux pour me diriger sans lever la tête. De temps en temps, un tourbillon de poussière m'invite dans sa valse, m'obligeant à quelques longs moments d'apnée.
Je ne dirais pas non à un peu de co-voiturage, mais évidemment, plus aucune 4x4 ne passe...
Toujours à ma gauche les glaces du Mýrdasjökull coiffant Miss Katla.
La Katla... Ma voisine de gauche pour un bon moment. Le plus dangereux volcan en activité d’Europe, l’un de ces volcans capables à eux tout seuls de faire reculer le réchauffement climatique de quelques décennies.
Enfin, je me rapproche des montagnes, je sors du sable. Me voilà au bord de la Kaldaklofskvísl.
Rivière équipée d’une passerelle : je rejoins l’itinéraire classique du laugavegur.
Et un peu plus haut dans la vallée, c'est le refuge-camping de Hvanngil.
Bien content d’arriver tôt, avant les trekkeurs du laugavegur, pour investir le coin lavabos. J’hallucine en me regardant dans la glace. Traînées noirâtres sur tout le visage, le cou, les bras ; yeux rouges et gonflés. Bien vu d'avoir programmer une halte dans ce lieu "civilisé" à la sortie du désert... Il est bon de pouvoir prendre une longue douche. A Hvanngil, l’eau chaude n’est pas contingentée, j’en profite à fond !
A demain !
(J'écris cet article ce 30 août - mort de Marc Riboud.)
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Là que je me rends compte de mon manque de préparation. L’étape prévue (Hvanngil-Emstrur) paraît bien courte et dénuée d’aventure. N’y a-t-il vraiment rien d’autre à se mettre sous la dent dans le coin ? Ces langues glaciaires sous le Mýrdasjökull sont tentantes…
Je me renseigne sur le gué de la Bláfjallakvísl auprès de la warden : Miss Katla, parait-il un peu colère, est en forte activité géothermique cet été. Les flots de la rivière sont du coup susceptibles de varier fortement. Les conseils sont assez banals : choisir une zone où la Bláfjallakvísl est large, ouvrir la sangle abdominale du sac à dos… Traverser environ 200 mètres en amont du gué de la piste 4x4.
Au final, la traversée de la Bláfjallakvísl est large mais facile. Cette année, les laugaveguriens même les moins bien équipés (pieds nus et sans bâtons – je ne comprends pas, ça… Sandales et bâtons, c’est de l’équipement basique, y compris en terme de confort !) passent sans difficulté.
Se référer au récit de Bigfoot de 2009 pour s’apercevoir à quel point ça peut varier. Cette année-là, début août idem, le warden de Hvanngil interdisait la traversée à pied et faisait monter les trekkeurs dans sa 4x4…
Quelques kilomètres sur le laugavegur, dans un sandur au pied du Mýrdasjökull.
Jusqu’à rejoindre le « passage obligé » de la passerelle sur l’Innri-Emstruá (l'Emstruá "de l'intérieur"), qui traverse la plaine en canyon.
Là, je bifurque à fond à gauche vers les glaciers, en longeant l’Innri-Emstruá en rive gauche orographique.
Pas de l’explo très compliquée : c’est tout plat ! Et tout beau. Orgues basaltiques et épilobes arctiques.
A l’entrée de la vallée, je sens une forte odeur de soufre. Je cherche un peu mais il n’y a pourtant pas l’ombre d’une fumerolle ou source chaude. Cette odeur va m’accompagner pendant un bon gros quart d’heure. Il semble que ce soit l’Infernale Miss Katla herself qui m’envoie son souffle méphitique…
La Litla-Mófell :
La vallée, quasi plate jusqu'alors, se termine par un léger bombement (cordon morainique ?), et juste derrière... un creux...
En face, les larges langues glaciaires descendant de la Katla : le Sléttjökull et l’Entujökull.
La branche est de l’Innri-Emstruá collecte les eaux du Sléttjökull. La branche ouest, que j'ai remontée, est séparée des glaciers par un sillon au pied de l'Entujökull, probablement datant d'une période de recul : j'imagine qu'au Petit Âge Glaciaire, celui-ci venait s'appuyer sur les Mófjöll.
Toujours est-il que les eaux de fonte de l’Entujökull partent maintenant vers l'ouest, formant l'autre Emstruá, celle "de devant", la Fremri-Emstruá.
Pour un meilleur point de vue, je longe un moment en balcon la vallée de la Fremri-Emstruá puis, bloqué par les pentes de palagonite, je monte sur une petite éminence devant la Litla-Mófell.
Au sud-ouest, l’Eyjafjallajökull (le fameux !) devant la Fremri-Emstruá. (Sur la gauche, la Rjúpnafell pointe son nez.)
Au nord-ouest, la Stóra-Mófell devant le Tindfjallajökull.
Et toujours l’Entujökull au sud.
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J’avais la vague idée de contourner la Litla-Mófell, mais ça ne me botte pas trop vu d’en haut. Pas complètement sûr que ça passe et route peu sympathique : du caillou, des pentes raides et pas plus de panorama. Quant à essayer de passer par la Fremri-Emstruá, ça vaudrait vraiment le coup, mais si ça coince c’est 24 heures dans la vue.
Au final, je reprends la vallée de l’Innri-Emstruá.
De nouveau l'odeur de soufre, sous le vent du volcan.
Puis je longe les Mófjöll sans retourner directement au laugavegur.
Derrière moi, le Torfajökull - d'où j'arrive.
Droit devant, le Tindfjallajökull.
Et à ma droite, le Hattafell, sommet symbole du laugavegur, qu’on voit dès qu’on sort de Thórsmörk.
Le temps devient peu agréable, venteux et humide. On sent que la pluie n’est pas loin. (Il est 14h : elle est en retard !)
Je me rapproche du canyon de la Markarfljót - et de la trace du laugavegur.
Une descente bien raide et c'est l'arrivée au refuge d’Emstrur (Botnar).
Ce gros refuge est installé en pleine zone de cendres noires, au bord d’un petit ravin de verdure où se blottissent les tentes, à l’abri du vent. Je monte la mienne… et il pleut !
Le reste de l'après-midi à bouquiner. La montagne magique. Acheté un peu au hasard, dans ma librairie préférée. J'ai échappé à Dune et failli prendre la captive aux yeux clairs (4ème de couv' très accrocheuse !).
Bien plus accessible que la mort à Venise... (Et puis sur 900 pages tu peux te permettre de sauter quelques paragraphes ;-)
Une réflexion (entre autres thèmes) sur la subjectivité du temps qui passe.
Très connecté à mes expériences islandaises. Le temps qui s'effiloche, à écouter au bivouac la pluie tomber ; le temps qui se dilate, dans la zénitude de la traversée du désert ; celui qui se condense, dans le stress d'un passage de gué un peu chaud.
Le temps a certes une dimension métronomique. Il a manifestement aussi une densité. Qui s'exprime, selon moi, sur deux axes.
Sensations.
Émotions.
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