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Inspection du versant est du col du Ravin Noir : une ravine austère, surmontée par le Rateau d'Aussois, un 3000 que j'avais mis à mon programme, mais vu ma fatigue, il n'y aura pas moyen. De toute façon pas de visi.
Pendant que mon lyophilisé se réhydrate, le ciel se découvre un peu à l'ouest du Ravin Noir, au-dessus de l'Aiguille de Polset.
Le massif de Péclet-Polset en panorama, de la Pointe Rénod à l'Aiguille de Polset.
Je redescends à l'est du col du Ravin Noir. Les premiers mètres sont délicats, dans un éboulis de schistouille assez raide qu'il faut traverser en diagonale vers le nord. La photo ci-dessous illustre bien le passage.
Les bâtons sont bien utiles dans ce type de terrain. Je me tue à le répéter, c'est un équipement indispensable. Ils stabilisent le corps, réduisant beaucoup l'énergie dépensée à gainer, ils amortissent les descentes, font participer les épaules à l'effort en montée ; je passe sur leur usage en traversée de gué.
Ma route vers le col de la Masse me mène droit vers une petite harde de bouquetins.
Quelques étagnes et cabris.
Me voilà dans l'axe du vallon de la Masse.
D'où je rejoins péniblement le col de la Masse. Une vue de la traversée depuis le col du Ravin Noir.
Au nord, c'est la Dent Parrachée, extrémité sud des Glaciers de la Vanoise. Le refuge de ce soir est quelque part dans les alpages en-dessous.
Il y a donc une longue descente dans les pentes herbeuses. Nouveau groupe de bouquetins.
"Le face à face avec l'animal, c'est la véritable expérience de l'Altérité" écrit Sylvain Tesson dans La Panthère des neiges. Je ne sais pas si j'adhère à cette phrase, personnellement. Me demande si je ne me sens pas plus Autre à un cocktail, disons. Ou à un match de foot.
La vallée à main droite, c'est la haute Maurienne. Je n'arrive pas à mettre un nom sur les sommets, vers le Mont-Cenis.
Il a fallu que je descende au fond de la vallée, le Fond d'Aussois. Cote 2215 m au pont de Sétéria.
300 m à remonter pour rejoindre le refuge de la Dent Parrachée.
Je n'en peux plus, je m'arrête tous les 100 mètres. Bah, j'ai tout mon temps...
A 18 heures, je suis au refuge, une demi-heure avant l'heure du dîner. Aujourd'hui d'après mon GPS, 13,2 km, +1290 m, -1240 m.
Riz, oignons et diots (saucisse en savoyard, au cas où tu l'ignorais - mais tu le savais, bien sûr). Me rappelle plus ce qu'il y a eu en entrée ; de la salade verte, ça j'en suis sûr, vu que je me suis donné du mal à la mélanger pour toute la tablée. En dessert, tarte fine aux pommes et sa glace vanille ; moins la glace.
Et la tournée de génépi du gardien, évidemment. Échaudé par ma dernière nuit, je me contente tristement d'y tremper les lèvres (elle est plus goûteuse que celle de Péclet-Polset) et refourgue mon verre à mes voisins ravis de l'aubaine.
Il y a toute une troupe de gamins d'une 6ème de Montmélian en journée d'intégration, ils font un boucan d'enfer, mais à l'heure du couvre-feu, tout le monde au lit sans discussion.
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Ça piaille et ça court dans tous les sens encore ce matin mais en tout cas, moi j'ai dormi comme un bébé... Bon je traîne pas, c'est samedi et le refuge de l'Arpont, ce soir, est en période hors gardiennage, je veux y arriver de bonne heure.
Les lacs d'Aussois, Plan d'Amont et Plan d'Aval, sont encore à l'ombre tandis que je les contourne.
Derrière moi, en plein soleil, la Pointe de l’Échelle (à droite) et le Rateau d'Aussois, que j'aurai donc raté. Grr. Mais je vais me rattraper...
Et au nord, la Pointe de Labby et la Dent Parrachée, à contourner.
Je traverse rapidement le domaine de la station de ski d'Aussois.
L'attraction du coin, la Pierre du Diable...
Les habitants d'Aussois étaient très pieux, le Diable désespérait... Il lui vint une idée pour se débarrasser d'eux définitivement : détruire l'église le dimanche en plein office et tous les dégommer d'un coup. Strike... Il repéra, du côté de la Fournache, un énorme rocher qu'il pourrait précipiter vers le village. Mais alors qu'il s’apprêtait à réaliser son funeste forfait, quatre lièvres apparurent, s'emparèrent de la pierre et la laissèrent retomber sur place en écrasant le Diable...
Un peu plus au nord, le chemin remonte un ravin puis repart en traversée, dans un paysage digne des Dolomites ou du col de l'Izoard.
Au loin au sud, apparaissent tous les grands sommets de l'Oisans (où il faudra que je retourne ! Pas mis les pieds depuis bien 15 ans...) : le Pelvoux, l'Ailefroide, la Barre des Écrins, et même la Meije, à droite !
Toujours ce paysage tourmenté, ruiniforme, de cargneules, le cirque de la Turra.
Cargneules... Ah ah j'aime ce mot. Kaarrr-gneûûû-le. Si ça se trouve ç'en est même pas. Edit : ç'en est ! C'que c'est que de faire de longues études...
Un long moment, le chemin va rester quasi à l'horizontal, autour des 2300-2400 m d'altitude, dans les prairies jaunies par cette fin d'été et les pierriers de dolomie.
Et je remonte comme ça toute la haute Maurienne... Je m'écarte un moment du chemin pour prendre une photo de la vallée depuis un petit sommet surmonté d'une croix, la Loza.
Depuis un moment j'observe le ballet des vautours, au-dessus de ma tête.
J'arrive enfin à les shooter, ce qui me permettra, au retour, de les identifier, car je ne connais pas grand chose à ce genre d'oiseaux, quasi inconnus dans les Alpes il y a encore 20 ans. Donc... des vautours fauves.
"Ne comprends-tu pas que le moindre oiseau qui fend l'air est un immense monde de délices fermé à tes cinq sens ?" William Blake. Encore une phrase recopiée de La panthère des neiges. Pour le coup, on peut parler d'Altérité. La vision d'un rapace n'a rien à voir avec la nôtre, son acuité, sa perception du relief, des mouvements, des couleurs. Un autre monde...
Toujours la Dent Parrachée, à main gauche.
Et de l'autre côté de la Maurienne, le Gand Roc Noir.
Mais voilà qu'apparaissent enfin les Glaciers de la Vanoise, avec le Dôme de l'Arpont...
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Je lâche la Dent Parrachée...
En-dessous, la vallée s'est transformée en gorges, terrain d'aventure pour canyonistes, tandis qu'apparaît une montagne qu'on va voir souvent par la suite, le point culminant de la Vanoise : la Grande Casse.
Une belle chute d'eau, la cascade de Thibaud, qui descend directement du lac de l'Arpont.
J'en profite pour quelques ablutions et lessives dans le ruisseau de Thibaud.
Le Dôme de Chasseforêt.
Et nouveaux survols de vautours fauves.
Un mouton bravache me défie...
Il reste une petite pente à remonter pour rejoindre le refuge de l'Arpont. Apparemment, il n'y a pas grand monde autour ; les volets semblent clos.
Et effectivement personne. La grande terrasse du refuge de l'Arpont est totalement désertée...
D'après mon GPS : 18,3 km, +1450 m, - 1630 m.
Mais la journée n'est pas finie : il n'est que 15 heures.
J'inspecte les lieux... Une salle hors-sac, j'ouvre les volets. Deux grands dortoirs où bourdonnent des volutes de mouches, j'ouvre les fenêtres.
Une grosse demi-heure de pause et je repars à l’assaut des glaciers :).
Un chemin plutôt bien tracé remonte la crête d'une vieille moraine. Problème : elle est investie par un troupeau de moutons...
Et surtout par un patou vindicatif. C'est son métier, il y a des loups en Vanoise. Je m'assieds sur un rocher, prends le temps de bavarder avec lui, il gronde et aboie alternativement. Je décide de lui tourner le dos. En attendant qu'il se calme, je prends quelques photos de fleurs.
Quand je me retourne, cinq minutes plus tard, il s'est éloigné. Je peux reprendre mon ascension. Après la moraine, la trace part à l'horizontal vers la gauche. Puis se perd au niveau d'un petit couloir pierreux qui aboutit à un petit lac.
Et plus haut c'est le grand choc émotionnel. Digne de ce que j'ai ressenti à Sveinsgil ou à Rauðibotn. Le lac de l'Arpont...
Avec encore la Dent Parrachée en reflets. Le contre-jour abîme un peu mes photos, ça ne rend qu'à moitié l'indicible (et d'ailleurs je ne m'y risque pas) beauté du spot.
Le lac de l'Arpont, toujours, avec le glacier de l'Arpont en reflets, cette fois-ci...
Je suis le bord du lac vers le sud.
Et va pour une dernière : toujours le lac de l'Arpont, toujours le glacier de l'Arpont, à l'exutoire du ruisseau de Thibaud.
Bon ben faut bien redescendre. La beauté plein la tête, l'envie de partager, le désir de revenir demain au lever du soleil...
Je reviens sur mes pas. J'anticipe ma nouvelle rencontre avec le patou. Je peaufine une petite chanson pour l'amadouer. Ça fait à peu près ça :
Oh patou, pas touche,
Patatou, pas touche,
Pâtes à tout du vendredi, pas touche,
Pâtes à tout du mercredi, pas touche,
Celles du mardi, celles du jeudi, pas touche,
Quant au samedi c'est jour de riz, pas touche,
Du coup dimanche y a rien du tout... C'est tout.Oh patou, pas touche,
Patatou, pas touche,
Etc...Efficacité garantie sur facture... En fait, j'arrive au refuge juste en même temps qu'un couple de randonneurs. Le patou s'en va les embêter, et j'en profite pour contourner le refuge tranquillement dans l'autre sens.
Au final, on sera 5 randonneurs au refuge de l'Arpont, cette nuit. Un dortoir pour moi tout seul.
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