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Dédicace à "Foxy" Lady Grey
Un petit poème chinois lui revenait en mémoire.
Tu aimes dire que tu es un grain de sable
Tombé par mégarde dans mes yeux
Tu préfères me voir pleurer solitaire
Plutôt que te laisser aimer
Puis tu disparais dans le vent
Pareil au grain de sable…Trois jours déjà qu'il est seul dans ce désert, et cette solitude, qu'il croyait pourtant tellement bien supporter, lui cisaille le coeur. Alors ce soir, il puise dans la glacière un litre de jus de pamplemousse ainsi qu’une bouteille de vodka suédoise, et se munit d'un grand verre à bière.
Une heure et demie plus tard, peut-être à la faveur de l'alcool, la lucidité l'emporte sur l'accablement. Il sort de la tente méharie et vide sur la dune le fond de la bouteille - mais il n'en restait pas grand chose !
La nuit est tombée ; il tire la chaise longue sous la voûte céleste et s'installe face aux étoiles. A l’extérieur, le silence est moins oppressant. Il y a le léger bruit du sable, la reptation lente et imperturbable du désert, quelques animaux nocturnes, insectes et engoulevents.
Les minutes passent. La dune lui masque un bon tiers du ciel. D'un coup son oeil est attiré par un mouvement à l'est, mais ce n'est que le clignotement d'un avion quelques kilomètres au-dessus du désert. Quelques centaines de personnes qui se réveilleront demain à Chicago - ou Rio peut-être, blues ou samba ?
Peu à peu il s'habitue à la pénombre. La double traînée blanche de la Voie Lactée est maintenant bien visible. Le W familier de Cassiopée lui indique l'Étoile Polaire, l'axe autour duquel tout continuera à tourner inexorablement – lui, elle, le reste de l'univers.
Sa seule superstition, mais il y tient en incorrigible romantique. Il répète dans sa tête la phrase qu'il lui faudra prononcer rapidement. "Tadada, tadadada". Il faut que le message soit court et clair. Sept syllabes, pas plus.
Des cirrus s'installent peu à peu et réduisent comme peau de chagrin la surface étoilée, et puis il y a comme une buée sous ses paupières. Sa quête devient bien improbable… Un autre mouvement, à peine perceptible, mais ce n'est qu'un satellite passant lentement d'est en ouest.
Un moment il fredonne, sans conviction : "Ça fait rire les oiseaux et danser les écureuils..." : allez ! il est quand même un peu saoul.
...................
Une longue trace de feu traverse la moitié du ciel, avant de se dissoudre lentement.
…Mais il ne dit rien, ne prononçe pas ces sept syllabes qu'il a pourtant si soigneusement préparées. Vaincu par l'alcool et la fatigue, il s'est endormi. Quelle importance ! Est-il possible que l'intercession d'une étoile filante, aussi impressionnante soit-elle, puisse vraiment ébranler des sentiments et un libre-arbitre ?
Appuyé sur un coude, il la regardait dormir, à quarante centimètres de lui, contemplait l'arche de ses hanches, comme une porte de cathédrale. Un rayon du soleil levant s'était faufilé dans la tente, puis avait rampé lentement vers elle. Le champ de blé de ses cheveux étalés s’était transformé en coulées d'or brûlantes.
Elle avait peu à peu repoussé son duvet pendant la nuit. Elle était en sous-vêtements, mais le soutien-gorge avait glissé et laissait pointer un bout de téton délicat. Il n'en perdait pas une miette. Bouton de rose... "Il y a une fleur" avait dit le Petit Prince. Il aurait voulu s'approcher, en humer la fragrance ; il n'osait pas faire un geste.
Un souffle léger, qu’il imaginait tout aussi parfumé, faisait vibrer l'aile de son nez et aussi une bulle sur ses lèvres, sous la petite cicatrice qui le fascinait tant. Elle était… sereine !
Il guettait sans impatience le moment plein de promesses où le rayon de soleil atteindrait sa paupière, où s'ouvriraient les "zéphyrs bleus charriant les parfums de son cœur".
...................
Il se réveille brusquement, comme s'il avait senti une présence à son côté. Les étoiles ont disparu derrière un brouillard laiteux. Une lune gibbeuse perce le voile et éclaire doucement la dune.
Malgré le demi-litre d’alcool pur absorbé, il se sent toujours aussi lucide. A quelques mètres de lui, le renard l'observe, d'un regard méfiant. Il soupire, hésitant ; faut-il attendre ou est-ce à lui de se lancer ?
Il ferme les yeux. S'il se tait et que tout en reste là, il s'en voudra longtemps, alors encore une fois il choisit de parler.
Je sais que tu m'as déjà répondu. Mais j'ai peur de ne plus connaître ta réponse ; alors pardonne-moi de ressasser... Sois quelque chose pour moi. Encore une fois je te vole ta réplique.
S'il te plaît, apprivoise-moi.
S'il te plaît.
Il rouvre les yeux et regarde le renard intensément. Celui-ci reste d'abord muet et comme hésitant. Puis il ouvre la bouche, se lèche les babines d'un air pensif.
...................
Quels mots furent prononcés ? Furent-ils comme des fleurs de coton, humbles et tendres, des papillons de neige, brûlants mais éphémères ? Des flèches de silex passionnées, rebondissant sur les murs sans atteindre leur cible ? Ou bien n'y a-t-il eu que le silence ?
Je ne sais plus. La brume est retombée sur la dune ; elle a tout enveloppé, étouffé les bruits, bâillonné l'amitié. Ou peut-être simplement me suis-je réveillé.
Aujourd'hui encore il m'arrive de penser à toi. Plus que tes cheveux dorés c'est le marbre veiné de bleu de ta peau qui envahit mon rêve. Et comment tu rougissais quand on faisait l'amour, comme une statue qui recouvrait la vie.
Inspirations : Qiu Xiaolong, Andrew Klavan, Maurice Rollinat, un peu de Bénabar (un mot !) et de Compagnie Créole - Saint Exupéry bien sûr.
On ne voit bien qu'avec le cœur.
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La traversée Brèche de Rolland – Goriz assortie de l’ascension facile d’un « 3000 » (le Taillon), voilà encore une belle randonnée, à travers des paysages spectaculaires.
Il est déjà tard dans la saison (début octobre), tard dans la journée. Je laisse la voiture sous le Port de Boucharo, avec pour premier objectif de rejoindre le refuge des Sarradets pour y passer la nuit. Je croise quelques randonneurs qui m’alertent : attention, le refuge est fermé, inaccessible. Bah, ça ne m’inquiète pas, il y a bien, en principe, une partie qui reste ouverte hors saison. Dans le pire des cas, redescendre à la voiture ne sera pas trop long.
Ce qui m’inquiète plus, quand je rejoins le col des Sarradets, c’est la glace… Pas prévue. On dirait qu’une tempête a sévie sur la partie française du massif.
Etrange ambiance que celle de ce grand refuge des Sarradets abandonné.
Je fais le tour et trouve l’accès : il faut monter une petite échelle, on rentre directement à l’étage. La partie ouverte du refuge comprend une salle à manger et un dortoir. Ce n’est pas la première fois que je suis seul dans un refuge, mais bien la première fois dans ce genre de grand refuge habituellement gardienné : c’est spécial, le sentiment de solitude est exacerbé. Forcément, il y fait froid, alors je m’enterre sous 5 couvertures.
Grand bleu le lendemain matin. Petite grimpette. Le chemin est bien givré, un peu glissant. A la montée, ça va. Je rejoins d’abord la brèche de Rolland.
Côté espagnol, il n’y a presque pas de neige ou de glace sur le Descargador : l’orage s’est vraiment cantonné sur les faces nord du massif du Marboré.
Il y a quand même quelques stalactites de glace qui menacent, j’essaie de ne pas passer trop près des parois. Une femelle isard et son petit :
Avant de rejoindre le refuge de Goriz, mon itinéraire prévoit l’ascension du Taillon, « 3000 » facile.
Il suffit de contourner le Doigt.
Ensuite, suivre les crêtes permet de rejoindre le sommet du Taillon sans difficulté. Panorama. Le Vignemale et son glacier :
Le massif du Marboré et le Mont-Perdu :
Je débaroule vers le llano de Millaris. Revoilà ma petite famille isard.
Ensuite c’est la traversée jusqu’à Goriz par les cuellos del Descargador et de Millaris. Les paysages calcaires en gradins et verrous glaciaires sont particulièrement somptueux.
Le refuge Goriz est bondé. La randonnée est le sport « national » catalan. J’avais prévu d’y passer 2 nuits et de monter au Cylindre du Marboré, mais je n’ai pas réservé… Il y a de la place pour moi, mais juste pour cette nuit. Changement de programme, il va falloir que je retourne côté français dès demain…
Le lendemain, donc, itinéraire allégé : contournement de la Sierra Custodia et retour à la brèche de Rolland. D’abord un petit tour près des falaises du canyon d’Ordesa afin de prendre en photo les Tres Sorores : Cylindre du Marboré, Mont-Perdu et Soum de Ramond.
(Voir l’article « Canyon d’Ordesa » pour le même paysage au printemps.)
Au fil de ma boucle, je repère un vautour, puis débusque un groupe de sangliers (je n’ai pas eu le temps de les prendre en photo, ils m’ont fichu la trouille les vaches !)
Les Tres Sorores et les Tres Marias côté canyon d’Anisclo :
Retour à Goriz par le collado de Arrablo. Tiens, il y a des vaches en alpage ! Elles ont fait de la route !
Et je reprends le chemin vers le refuge des Sarradets. Je tombe sur toute une harde d’isards.
Voilà la brèche de Rolland vu depuis la grotte Casteret. Sacré lapiaz, il faut des chevilles solides pour y cheminer.
Contraste par rapport à l’avant-veille : le refuge est ouvert pour le week-end, et en plein surbooking. Mais ici, contrairement à Goriz, on accueille tout le monde. Après le dîner, les gardiens disposent des matelas un peu partout dans la salle à manger.
Retour à la voiture, dernier coup d’œil sur le Taillon.
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D'accord, le Balaïtous n’est pas un sommet très connu ni très photogénique. Mais en faire le tour (sur 4 jours) est un prétexte à visiter quelques belles vallées françaises et espagnoles.
J’ai laissé la voiture en milieu d’après-midi au Plan d’Aste, au-dessus d’Arrens.
Après avoir contourné le lac de Suyen, je monte rejoindre le refuge Ledormeur, dans le vallon à droite du Picasse de Labassa.
C’est un joli petit refuge de pierre non gardé.
Le refuge entier pour moi tout seul ! Le lendemain, j’ouvre la porte ; un isard est en train de brouter juste devant moi. Il s’enfuit avant que j’ai eu le temps de me saisir de l’appareil photo.
Mon 2ème jour doit me mener au refuge espagnol de Respomuso. J’entrevois fugitivement le Balaïtous.
Un peu plus haut j’arrive aux altitudes encore enneigées (on est fin mai). De ce côté-ci de la frontière, ça va, le col est large. Pour revenir, par le Port du Lavédan, j’envisage déjà des moments difficiles…
Juste avant la frontière, je croise une randonneuse, seule comme moi, qui arrive du refuge Wallon. Elle me dit qu'elle en a bien bavé dans la neige pour passer le col de Cambalès. Ça promet.
J’arrive au Port de la Peyre-Saint Martin.
Il ya autant de neige côté espagnol. Le lac de Campoplano est glacé.
(Je suis repassé par là à l'automne 2015 : pour l'article, c'est là, et pour la photo sans la neige, c'est là.)
J’aperçois bientôt le lac de Respomuso.
Je ressors de la zone enneigée. La vie reprend ses droits !
J’arrive au refuge de Respomuso. Gardienné, chauffé, très confortable. On n’est pas nombreux, une demi-douzaine peut-être. En fin de journée je retourne au bord du lac de Respomuso prendre quelques photos des Picos del Infierno.
3ème jour : il s’agit de retourner en France. Le passage du Port du Lavédan sera-t-il ouvert ? Dans le cas contraire, la solution de repli sera de rejoindre le refuge d’Arrémoulit, ça me fera perdre une journée.
Je débusque un isard. L’appareil photo était prêt. Beau shoot !
Je contourne les Picos de la Frondella et enfin entrevois le Pallas et immédiatement à sa droite mon fameux Port du Lavédan.
C’est tendu… Belle pente de neige à remonter… On verra bien. Un peu plus loin, j’approche des lacs d’Arriel. Je crois bien que c’est le plus beau paysage que j’ai jamais photographié…
Je contourne le lac d’Arriel bajo par la droite, puis le lac d’Arriel alto. La neige est bien stable, je ne crains pas trop l’avalanche. La neige est assez dure, mais pas glacée. En tapant un peu, le pied fait son trou ; je monte lentement en prenant soin de ne pas glisser. C’est probablement le plus grand risque : pas sûr d’arriver à enrayer une chute avec juste mes bâtons. Me voilà enfin au col.
Côté espagnol : les lacs d'Ariel :
Côté français, de la neige aussi, bien sûr, mais c’est bien moins raide.
Revoilà le Balaïtous côté ouest. Pas plus photogénique.
Dernière nuit au refuge de Larribet, et je rentre par une jolie vallée.
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