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J’avais la vague idée de contourner la Litla-Mófell, mais ça ne me botte pas trop vu d’en haut. Pas complètement sûr que ça passe et route peu sympathique : du caillou, des pentes raides et pas plus de panorama. Quant à essayer de passer par la Fremri-Emstruá, ça vaudrait vraiment le coup, mais si ça coince c’est 24 heures dans la vue.
Au final, je reprends la vallée de l’Innri-Emstruá.
De nouveau l'odeur de soufre, sous le vent du volcan.
Puis je longe les Mófjöll sans retourner directement au laugavegur.
Derrière moi, le Torfajökull - d'où j'arrive.
Droit devant, le Tindfjallajökull.
Et à ma droite, le Hattafell, sommet symbole du laugavegur, qu’on voit dès qu’on sort de Thórsmörk.
Le temps devient peu agréable, venteux et humide. On sent que la pluie n’est pas loin. (Il est 14h : elle est en retard !)
Je me rapproche du canyon de la Markarfljót - et de la trace du laugavegur.
Une descente bien raide et c'est l'arrivée au refuge d’Emstrur (Botnar).
Ce gros refuge est installé en pleine zone de cendres noires, au bord d’un petit ravin de verdure où se blottissent les tentes, à l’abri du vent. Je monte la mienne… et il pleut !
Le reste de l'après-midi à bouquiner. La montagne magique. Acheté un peu au hasard, dans ma librairie préférée. J'ai échappé à Dune et failli prendre la captive aux yeux clairs (4ème de couv' très accrocheuse !).
Bien plus accessible que la mort à Venise... (Et puis sur 900 pages tu peux te permettre de sauter quelques paragraphes ;-)
Une réflexion (entre autres thèmes) sur la subjectivité du temps qui passe.
Très connecté à mes expériences islandaises. Le temps qui s'effiloche, à écouter au bivouac la pluie tomber ; le temps qui se dilate, dans la zénitude de la traversée du désert ; celui qui se condense, dans le stress d'un passage de gué un peu chaud.
Le temps a certes une dimension métronomique. Il a manifestement aussi une densité. Qui s'exprime, selon moi, sur deux axes.
Sensations.
Émotions.
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La météo à la hutte des wardens : « windy, cloudy, with some rainshowers every now and then ». Brrr… J’avais besoin d’un boost pour me lancer, ben c’est raté. J’accuse un peu de fatigue mentale et ne me sens plus de partir en chemins de traverse. Pourtant j’avais envisagé une route ambitieuse vers la Rjúpnafell, qui aurait impliqué de trouver les passages au travers les canyons de la Ljósá et de la Þröngá. Une belle aventure… et je suis passé à côté ; ce sera mon gros regret du trek.
A vrai dire, à me casser les yeux sur les sorties thórmörskoises du blog de Bigfoot, il m’en est resté plus d’anxiété que d’excitation, face aux pentes et aux dénivelés impressionnants, aux galères affrontées. Cette prévision météo pessimiste c’est le coup de trop. S’il m’arrive d’être courageux, c’est par valeur, pas par tempérament… C’est dommage, mais c’est dans cette ambiance un peu morose que débute ma journée.
Une photo du camping. (Je m'étais installé dans le haut.)
Je resterai donc pour un bon moment sur le laugavegur (y a pire !). Sans oublier quand même de quitter la trace pour un coup d’œil sur « ma » Markarfljót, rivière dont je connais si bien l’amont, avant de rejoindre la Rjúpnafell sans gloire. Compromis, quel vilain mot...
Einhyrningur et la Fremri-Emstruá :
Traversée de la Fremri-Emstruá sur la passerelle.
Puis, donc, bifurcation vers le canyon de la Markarfljót.
Retour au laugavegur.
Puis un peu plus bas, nouveau détour vers la Markarfljót. Ici avec en arrière-plan Einhyrningur, le "Rhinocéros".
Puis la Markarfljót seule.
Et encore retour au laugavegur. La Ljósá, dont je ne me rappelle même pas la traversée.
Dans cet environnement austère, sans cris d’oiseaux (hormis les piaulements déchirants des pluviers dorés), sans odeurs de végétation, le champ des sollicitations sensorielles se rétrécit, et la moindre nouveauté est une fête. Pendant dix minutes, je me goinfre de cette petite baie noire inconnue au goût subtil.
Jusqu’à me rappeler un peu tardivement des derniers jours d’Alexander Supertramp… Anecdote. J’ai 22 ans, je suis en mobylette au Burkina-Faso pour une exploration aux chutes de Banfora. Mon guide s’écrie « Regarde, un crocodile ! ». Et je me précipite en avant. « Où ça, où ça ? ». Comment disait Brassens déjà ? Le temps ne fait rien à l’affaire…
(Photo d'époque garantie. Alerte spoiler !! De la chute d'eau, on va en manger et de la balaise, dans les jours à venir.)
Renseignement pris à mon retour, ces baies noires sont des camarines, tout à fait comestibles ! On en trouve dans les Alpes, mais elles y sont peu récoltées – je n’en ai jamais entendu parler -, alors qu’elles sont couramment consommées par les lapons et les esquimaux.
Le gué de la Þröngá… Un gros sujet d’inquiétude pour les laugaveguriens, une traversée sans histoire en vérité cette année.
La végétation est maintenant bien différente de celle du Landmannalaugar ! Ou de celle du Maelifellssandur !! Ce sont les "bois de Thór" : traduction littérale de Thórsmörk.
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Peu après le gué, j’enquille à gauche - enfin un peu de hors-piste - pour me rapprocher de la Rjúpnafell, débusquant au passage quelques couples de lagopèdes.
Je ne suis plus qu’à 300 m d’altitude, la végétation est typique de la toundra (de l'idée que je m'en fais). Là, pas d’hésitation : myrtilles ! Que je ratisse à pleines poignées. Que c’est bon un peu de nourriture fraîche !
Des bolets par centaines, qui me rappellent une nouvelle de Chalamov qui m'avait beaucoup marqué.
J'ai retrouvé cette nouvelle : le feu et l'eau. Échappé momentanément du camp, il y décrit une sortie au-delà de la rivière en crue, à la cueillette des baies et des champignons.
« Je pénétrai dans la forêt et mon sang de cueilleur ne fit qu'un tour : il y avait partout d'énormes cèpes, dressés séparément les uns des autres au-dessus de l'herbe ; leur taille dépassait celle des buissons d'airelles rouges. (...) Fouettés par l'eau de pluie de Kolyma, ces champignons étaient devenus monstrueux, avec des chapeaux d'un demi mètre ; il y en avait à perte de vue.»
Ce texte paraît banal - Chalamov n'est pas poète - mais il faut le mettre dans le contexte des Récits de Kolyma, décortiquant nouvelle après nouvelle, la terrifiante vie de zek, coincé entre le camp de concentration, la mine et l’hôpital.
Quelques heures de liberté pure que Chalamov avait su arracher : la version goulag de la gorgée de bière...
Confronté aux pentes raides de toute cette région de Thórsmörk, je me résigne à récupérer un chemin balisé, en rejoignant un vallon au sud de la Tindfjallagil, avec la Rjúpnafell en visuel.
Le chemin dévale un ravin impressionnant puis continue en balcon.
Jusqu’à une grotte de troll…
Un peu plus haut je débouche sur le plateau que je souhaitais atteindre directement par le nord, au pied de la Rjúpnafell.
Il est 15 h environ. Finalement il n’a pas plu du tout… Et il n’y a pas eu de vent non plus… Je monte la tente dans cet herbage idyllique et me repose au soleil en attendant ma sortie du soir.
Après dîner, je continue jusqu’au bord de la vallée de Thórsmörk, au-dessus du ravin de Goðagil. En face, les glaciers qui dévalent du Mýrdasjökull : Krossárjökull.
Et Tungnakvislarjökull.
Les nuages malheureusement assombrissent un peu trop l’atmosphère ; il va être temps de redescendre à la tente.
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