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Par lartisan le 14 Avril 2019 à 21:41
Il pleut mais je n'ai pas tellement le choix ; je ne vais pas passer le reste de la semaine à Manganu et puis il est temps de vérifier s'il existe encore d'autres humains sur terre.
Le Rotondo n'a absolument aucune intention de se dévoiler, il n'est pas envisageable de passer par Capitello et de traverser les montagnes.
Il faudrait monter au-dessus des 2200 m. No way dans les conditions actuelles. C'était pourtant mon idée, il y a encore quelques semaines : profiter de l'enneigement exceptionnellement faible de cet hiver. Et puis, le mauvais temps est retombé sur les montagnes corses, la neige a arrêté de fondre et moi j'ai arrêté de prendre mes désirs pour la réalité. Au soleil, j'aurais tenté. Peut-être.
Ciao le GR20, on se retrouvera plus tard, je vais contourner tout ça par en bas, d'abord en dévalant la vallée du Zoïcu.
Très vite, et malgré la pluie je retrouve les odeurs du maquis, puis le chemin part à l'horizontal dans une belle forêt de pins.
Le lac de Creno, réputé le seul lac forestier de Corse, ses tourbières, ses eaux noires... Le lac du Diable.
Car le lac de Creno est bel et bien une œuvre du Malin : celui-ci créa un trou pour en faire sa demeure. Le trou se remplit d'eau et les gens du coin tentèrent de l'exorciser en récitant des prières.
Alors le lac de Creno s'assécha et de fabuleux trésors se découvrirent, afin de tenter les hommes et de mettre fin aux incantations. Puis Satan en personne apparut...
Mais un berger implora le Christ, et le Diable disparut à jamais au fond du lac de Creno... Tout ceci est tiré du panneau affiché au bord du lac. On ne dit pas ce que sont devenus les fameux fabuleux trésors.
Ô surprise ! Une famille de randonneurs. Après 65 heures, me revoilà parmi mes congénères !
Peu après le lac, la fontaine de Veduvella. Pourquoi je n'ai pas pris de photo ? Ah oui, il y avait un seau en plastique moche moche pour récupérer l'eau.
Le chemin continue en balcon au-dessus du Zoïcu.
Puis je bifurque à gauche. Arrivée sur une crête. Au fond, avec la foi : le golfe de Sagone...
Et je bascule dans la vallée d'à côté, celle du Fiume Grosso.
Tout en bas, Orto. Hic sunt leones.
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Par lartisan le 14 Avril 2019 à 21:56
Mes premiers châtaigniers corses ! (Honnêtement, sans les bogues, je serais infoutu de les distinguer des hêtres.)
Orto. Des hommes, il y en a peu. Une vieille qui m'observe, deux gamines en vacances. Alors en fait de lions... bof, il y a les chiens. Chiantissime de ne pas pouvoir traverser un village sans qu'une palanquée de clébards se mettent à aboyer.
J'essaye de joindre le gérant du gîte de Pastricciola. Pas moyen ; j'avais oublié qu'on était samedi. Tant pis, je trouverai bien un site de bivouac, enfin j'espère : pas évident dans la forêt de trouver même quelques mètres carrés plats pas trop défoncés par les cochons.
Je me paume un peu avant de trouver le sentier du mare a mare. Pas si mal balisé, pourtant, mais les premiers hectomètres après le village sont un vrai foutoir. Chemin très moche qui dévale vers le fond de vallée. Ça ne dure pas, ça redevient sympathique à la traversée du Fiume Grosso, sous la falaise du Capizzolu.
J'y déjeune de lentilles au jambon (très moyennes) et repars sur une montée casse-pattes de 200 m de dénivelé. Orto vu d'en face.
De ce côté-ci, le chemin, passage ancestral bordé d'enclos moussus, est tout simplement magnifique.
Et ça redescend vers un deuxième village - Guagno.
La pluie reprend, tandis que je me lance dans une bonne bavante de presque 500 mètres. Des grondements à la limite de l'infrason... Mon premier cochon sauvage.
Juste un peu plus loin, une truie ? laie ?, couleur pâle et tachetée avec deux petits marcassins ? porcelets ? Ceux-ci traversent le chemin, me voilà entre la mère et sa progéniture. Pas très rassurant.
Je fais un maximum de bruit, elle se rapproche, m'observe. Je constate qu'elle a un marquage à l'oreille. Sauvage le cochon ?
Il n'y a pratiquement plus de chemin. J'avance à l'intuition, content de retrouver régulièrement le marquage orange du mare a mare, revenant en arrière quand il disparaît. Ça grimpe quasi tout droit, à travers les troncs d'arbres, les fourrés, les ronces, la terre est intégralement labourée par les cochons, c'est une vraie aventure, surtout sous la pluie et la capote qui ferment la vue !
Bocca Missicella. Dans le brouillard. Je ne vois rien. Ça redescend dans la vallée du Cruzzini. Je guette les endroits de bivouac. Pas évident, pentu, pentu. Mais il ne faut pas que je me rapproche trop de Pastricciola.
Le chemin s'aplanit sur une sorte de crête. Il est assez large pour la tente. Je m'arrête.
Espérons juste qu'aucun cochon ne viendra se prendre les pattes dans les tendeurs...!
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Par lartisan le 15 Avril 2019 à 19:31
Je suis réveillé par des aboiements. Lointains mais quand même, je ne traîne pas à me lever et démonter la tente. J'ai juste terminé quand arrivent deux chiens de chasse. Ils me reniflent un peu, bof, pas intéressant, repartent débusquer les cochons - ou autres. Mais pas de chasseur.
La grande nouvelle du jour : il fait BEAUUU ! Elle a de la gueule la crête de Missicella. Ça ne ressemblait pas vraiment à ça dans le brouillard d'hier.
Vers le bas de la vallée du Cruzzini, il y a encore des nuages. Je ne sais pas si on pourrait voir la méditerranée, mais pas aujourd'hui en tout cas.
J'arrive rapidement au-dessus des maisons de Pastricciola.
Je perds un peu le chemin, me retrouve au-dessus du cimetière (bizarrement placé au-dessus du village), arrive enfin à me faufiler jusqu'à la route. Je passe, les chiens aboient, évidemment. L'un d'eux est un peu vindicatif et surtout n'est pas enfermé. Heureusement le proprio est là, le chope, m'explique qu'il a peur des bâtons. Ah oui tiens donc, pourquoi ?
Je remonte la route vers Chiusa. Passé la dernière maison, une feuille plastifiée, bloquée sur un plot par un caillou. Un arrêté. Suite à éboulement au lieu-dit Foscoli, blabla, décision (texte mangé par la pluie), interdiction aux véhicules, blabla, mairie de Pastricciola chargé de blabla.
OK...
Plus loin, au départ du sentier qui descend vers le Cruzzini, nouvelle feuille placardée sur un arbre. Éboulement, route dangereuse, sentier interdit, signé la mairie de Pastricciola.
Ben oui mais... De plan B je n'ai pas. Redescendre, il n'y aura pas de bus. Une possibilité de transversale plus bas pour rejoindre la voie ferrée ? Je ne sais même pas si c'est possible (ça sort des cartes en ma possession). Non, non, il faut que je tente ma chance sur le Cruzzini.
J'arrive au bord du Cruzzini en pleine gamberge. Si je passe la journée à remonter la vallée pour finalement me retrouver coincé et obligé de redescendre, ça va être chaud pour rejoindre Ajaccio dans le temps qui me reste.
Idée lumineuse de chercher le lieu-dit Foscoli sur ma carte... C'est pas loin, j'y suis dans un quart d'heure, au moins je serai vite fixé.
Et voilà le problème... Je comprends que les autorités ne veuillent pas prendre le risque d'y laisser crapahuter des familles de randonneurs du mare a mare, mais bon... ça passe.
C'est donc reparti avec beaucoup de soulagement. Ça va être maintenant une belle journée de marche sous le soleil, sans pression, même pas celle de l'orientation : s'agit juste de remonter le Cruzzini jusqu'en haut. En prenant son temps, en faisant de grosses pauses lecture.
Des grondements sourds. Un cochon sauvage, qui se barre sans prendre la pause.
Pour la première fois depuis le début du trek, me vient la pensée que cette solitude est quand même bien casse-gueule... Parce que là, sur un sentier interdit, c'est clair que je vais encore passer la journée tout seul. S'il m'arrive quelque chose, et probablement sans GSM dans cette vallée encaissée - va falloir se débrouiller.
Le ravin de Linfaro offre de belles perspectives vers la crête de Gialgarello. Sacré ravin - déjà faut y accéder - je me demande si des adeptes du "ravinisme" (sport typiquement corse !) s'y essaient de temps en temps ?
Quelques bosquets, de châtaigniers, de hêtres. Il faut se frayer un chemin à travers des chablis pas du tout entretenus ; c'est en fait assez amusant, à des années-lumière d'une balade en forêt "standard".
Je passe à proximité d'une sympathique bergerie plus ou moins en ruine, je crois que c'est Guarchetta.
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