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De ce que je sais de la Mer de Glace, à droite ça sera vite la glace, à gauche ce sera de la moraine. Principe de base du randonneur solitaire : ne pas cheminer sur un glacier enneigé ! Je remonte la trace de gauche.
Au-dessus de moi, le Montenvers. Il me semble y apercevoir un train.
Le soleil se cache derrière l'Aiguille de la République. Voilà la glace vive. Suspicieux je suis. Peur des crevasses cachées. J'ai quand même envie de voir si je peux monter sur le plateau. Les traces de skis continuent dans un raidillon sur la gauche, pour moi on est encore sur la moraine. Pas de danger. On va dire.
Devant moi, sous l'Aiguille de la République, un champ de bosses et de creux. Où est la glace, où sont les crevasses ? La trace des skieurs s'arrête là, seule une piste de chamois s'avance dans la neige fraîche.
Je suis à deux doigts de m'arrêter également, et puis zut, tant que je peux avancer en restant sur les crêtes, il me semble que j'évite forcément les crevasses, non ? On va avancer step by step, il sera toujours temps de faire demi-tour quand ça semblera trop risqué, dac ?
Une belle crête de glace vive à droite, je vais tenter de la longer par une ligne de roches.
Quelques zigzags à droite à gauche pour éviter les creux et me voilà sur la moraine centrale, les Grandes Jorasses en visu, objectif atteint mais ça paraît tellement simple de continuer, je ne vais pas m'arrêter là !
Une petite traversée pour rejoindre un deuxième alignement de pierres et de glace vive plus à droite.
Vers la gauche, c'est le glacier de Leschaux. Je vais continuer à droite vers le glacier du Tacul.
L'heure tourne, il est de plus en plus aléatoire d'espérer redescendre avant le couvre-feu, mais bon sang je ne peux pas m'arrêter ! Il y a comme une petite éminence de glaces et de roches 500 mètres en amont, ça sera mon objectif ultime.
M'y voilà. La face arrière du Mont-Blanc n'est pas visible mais au moins je vois apparaître tout le bassin du glacier du Géant. La Dent du Géant à gauche, la Tour Ronde au milieu derrière les séracs du Tacul, la Dent du Requin à droite.
Derrière moi, toute la Mer de Glace que j'ai remontée. Le glacier perd ce nom à peu près là où je suis, à la confluence des glaciers de Leschaux et du Tacul.
Vu l'heure, c'est foutu pour le couvre-feu. Faut quand même rentrer. Je ne m'attendais pas à monter si haut, maintenant je regrette mon départ tardif. il y avait peut-être même moyen de rejoindre le refuge du Requin et d'y passer la nuit. Mais peut-être que plus haut c'est scabreux et/ou avalancheux, pas fait pour la rando raquettes !
Je redescends. L'Aiguille Verte, le bassin de Talèfre à main droite.
Je fonce à toute berzingue en revenant sur mes traces de montée, les raquettes accrochent bien sur la glace vive entre les cailloux.
Retour vers les collines de moraine. Les nuages se sont installés dans la vallée de Chamonix et débordent vers le Montenvers.
Deux skieurs-alpinistes dévalent de la droite. Arrivent-ils des Grands Montets ? Ils en ont bavé pour désescalader la moraine. D'autant qu'elle parpine un max, des rochers d'un bon quintal roulent presque jusqu'à ma trace de ce matin. Ils décident de remonter au Montenvers par l'escalier de la grotte de glace. Étrange choix, je trouve.
Un hélicoptère surgit des nues et passe au-dessus de moi. Où va-t-il ? Les refuges ne sont pas gardés. Peut-être va-t-il déposer des gens ou du matériel vers les Cosmiques ou l'Aiguille du Midi ?
Bas de la Mer de Glace, source de l'Arveyron. Il me faut remonter aux Mottets.
J'entre dans le brouillard.
La buvette des Mottets, tout juste visible.
Le savais-tu ? Longtemps, le gérant de la buvette des Mottets en été (peut-être est-ce encore le cas) n'était autre que le kid du film La Voie Jackson. Cultissime.
Je cours sur le chemin de la Filia. Arrivée vers l'héliport aux alentours de 18h30. Mais pas de maréchaussée dans la traversée de Chamonix.
(Sommaire articles Mont-Blanc)
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J'ai laissé la voiture au fond de la vallée d'Aspe, à la centrale électrique d'Estaens vers 15-16 heures et monte au bord du ruisseau d'Espelunguère en longeant la conduite forcée qui exploite les eaux de l'ibón de Estanès.
Je dépasse la cascade d'Espélunguère et le parking où j'avais dormi plusieurs nuits dans ma voiture, il y a quelques années. Passage à l'époque quasi fortuit et coup de foudre pour l'extraordinaire et pourtant méconnue sierra de Bernera. Peu de véhicules cette année. Le confinement n'est levé que depuis 2-3 jours !
Pas mal d'orchidées rouges en bord du chemin, probablement des orchis sureau, précoces.
Dans l'hypothèse d'un retour tardif (le couvre-feu de 19 heures est alors en vigueur), je jette un œil à la cabane d'Espélunguère.
Propre et bien achalandée, ce sera un parfait site de bivouac, si nécessaire, avant de récupérer la voiture.
Je reprends le sentier principal qui monte sans à-coup jusqu'à l'escalé d'Aigue-Torte.
En bord du chemin, une colonne vertébrale, plus loin un crâne, un fémur... C'était déjà comme ça à mon premier passage !
Me voilà passé en Espagne sans même m'en rendre compte. Pas de douane, pas d'attestation, de résultat de test à fournir...
Les crêtes de la sierra de Bernera commencent à se dévoiler. Premiers isards.
Il y en aura d'autres. Des centaines !
Gentianes alpines.
Au puerto de Escalé, on domine la vallée d'Aguas Tuertas, la lente reptation des méandres de l'Aragón Subordán.
Encore des ossements ! Je ne me l'explique pas. A croire qu'on est dans l'arrière cuisine d'un dragon dévoreur de moutons (ou d'isards ?).
Je suis resté en rive droite de l'Aragón Subordán. C'est malin ! Le torrent a grossi, il n'y a plus qu'à déchausser pour passer à gué. Les crêtes, du Pico Alto de la Portaza au Puntal de Secús, sont bien enneigées.
Ce n'est pas pour me déplaire, mais ça risque de me créer quelques difficultés par la suite. Un peu au-dessus de la vallée, c'est la cabane d'Aguas Tuertas, où je vais passer ma première nuit. Données GPS du jour : 7,5 km, +509 m/-165 m.
Un VTTiste arrive à la cabane en même temps que moi, par le chemin carrossable qui remonte de l'autre côté. Il est bavard et curieux ; en sabir spingo-anglais je lui explique mon projet, mes craintes de rencontrer trop de neige vers le Secús. T'inquiète, ça va passer me dit-il.
Il redescend, me laisse tout seul dans la cabane d'Aguas Tuertas. J'y fais mon nid, tranquillement, il y a deux bas-flancs, juste assez larges pour étaler un matelas gonflable. Une petite table et deux chaises en ferraille. J'en tire une dehors pour contempler l'Aragón Subordán.
Les ombres s'allongent peu à peu, tandis qu'une brume s'installe au fond de la vallée d'Aguas Tuertas, sur la sierra de Bernera...
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Avant de rentrer dans le cœur de la sierra de Bernera, faut que je dévale le barranco d'Aguas Tuertas. En face, la sierra de Vedalo est quant à elle dans les nuages.
A gauche toute, remontée brutale dans l’hallucinant barranco del Barcal. Si si tu vas voir.
De ce côté des Pyrénées, les orchis sureau sont jaunes. Cherchez l'erreur, comme dirait Pascal.
La star du barranco del Barcal apparaît...
Le castillo de Achert... Il va squatter pas mal de photos.
Passage à proximité d'une cabane. Close. Elle aurait fait un bon point de chute pour la nuit, pourtant. Castillo d'Achert. (Oui on peut dire les deux : tagad'Arragon ou teugueude Castille.)
Les falaises de calcaire gris du castillo de Achert semble comme posées - plus ou moins de guingois ! - sur le grès rouge. Après la cabane, la vallée mérite son nom de barranco. Le cheminement se faufile avec intelligence entre les ravines creusées dans le grès. Et de minutes en minutes le paysage se fait de plus en plus spectaculaire.
Je déjeune au pied de la peña de Marcantón. Quelques isards me toisent.
Tiens, ça faisait longtemps, le castillo d'Achert à ma droite.
Et la peña de Marcantón à ma gauche. Avec les isards.
L'itinéraire se cale momentanément au bord du torrent del Barcal.
Oui, y a redondance, d'autant qu'il n'y a pas grand chose à dire, je marche, les yeux écarquillés. C'est comme ça : parfois l'aventure est une succession de moments épiques, de confrontations avec la nature (ou sa propre nature !), et parfois c'est la zénitude parfaite, aucun accroc, tout roule.
Encore le castillo de Achert. Mais je ne vais pas censurer ça !
Le sentier est à peine marqué ; il y a de moins en moins de végétation, la progression se fait sur le grès rouge, sans balisage, quelques cairns de loin en loin. La navigation se transforme en un petit exercice cérébral très plaisant.
J'arrive enfin à la collada del Barcal. Instant de vérité.
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